L’Islam, religion monothéiste universelle, axe tout son message et sa doctrine en la foi révélée en un Dieu Seul, Unique et Absolu, source d’Espérance et de Vie pour le croyant totalement soumis à Sa volonté.
Dieu dans l’Islam est Lumière et Vérité transcendante. Sa sagesse créatrice, sa Providence donne la vie et organise l’Univers. La révélation de Son mystère s’inscrit dans les Révélations faites à Abraham, à Moïse, Jésus et à Muhammad.
Il est Un, absolument Un, Sublime et Parfait. Son annonce prophétique est la même dans la Bible, l’Evangile et le Coran où il est ainsi invoqué dans le Coran (S-112) : « Dis, il est Dieu, l’Unique, Dieu l’Infini, il n’a pas engendré, il n’a pas été engendré, Nul ne saurait l’égaler. »
La notion de Dieu, celle de Dieu Seul, reste contemporaine et présente dans l’histoire de toute l’Humanité, du moins depuis son éveil ou celui de sa conscience. La rencontre avec Dieu se situe dans l’avènement d’une Révélation ;
mais elle est aussi, pour le mystique, l’aboutissement d’un parcours ou d’un cheminement, d’une quête intérieure vers son mystère : une ascèse finale.
Dans sa rigueur coranique, le concept du Dieu Seul et Unique n’est pas spécifique à l’Islam. On retrouve l’appel du même Dieu Unique à Abraham et à Moïse à qui il parle disant dans le Décalogue (Exode 20) : « Je suis Yahvé ton Dieu qui t’a fait sortir d’Egypte tu n’auras pas d’autre Dieu que moi. » Et Coran 28-30 : « …de la Rive droite de la vallée sacrée Dieu dit à Moïse : c’est moi Dieu, Dieu de l’univers ».
Dieu Un et indivis : le concept est aussi commun à l’Islam et au Christianisme : Saint Thomas écrit dans sa “Somme Théologique“ que « Tout nombre qui s’applique à la
quantité n’est pas applicable à Dieu… » Son essence (Zât) dans l’Islam est insaisissable et inconnaissable. Elle fait partie du Mystère (al Ghayb) considéré par
l’Islam comme le domaine non révélé à l’homme. Son nom est inconnu. Il est en
quelque sorte mis à distance du langage, au delà du dicible comme une distanciation
du divin sacré des formes d’idoles verbales. Cette réticence religieuse à nommer le
Divin (l’apophatisme) est très présente dans les religions sémitiques, et même dans
l’Antiquité (Eschyle à propos de Zeus qu’il nomme le Créateur Universel).
Dieu Transcendant, créateur de l’Univers reste distinct du monde. Il n’est pas dans le
monde pour l’Islam. Il est au-delà du dicible et du pensable, au delà de toute
expérience rationnelle. Les “Transcendantaux“ de Platon, concernant l’Un, le Vrai, le
Beau, le Singulier situent l’Etre de Dieu dans l’inaccessible et dans la négation de
toute substance, de toute immanence, et, bien sûr, de tout panthéisme.
Par Sa volonté créatrice (Fiat ou Kûn Fayakun ; Coran 36-82) et la sagesse divine qui
gouverne le monde, l’Etre suprême crée l’Etant et l’Existant, l’Univers et l’Homme
le Temps et l’Espace (VIII-54). La Création est le fruit de Sa volonté.
Dans la mystique musulmane (Rûmi, Ibn-Al-Arabi ou Al-Ghazali), on ne peut
connaître Dieu qu’au fond de soi-même (« Qui se connaît soi-même, connaîtra son
Seigneur »).
Dieu est invoqué, loué, prié dans l’Islam avec une attitude d’espérance, d’attente
patiente et d’humilité envers sa Miséricorde.
Dans cette Transcendance, se situe dans la connaissance de Dieu constitutive de la
foi du croyant, la plus sage attitude étant de savoir qu’on ne peut pas savoir. La
nature de Dieu est ainsi évoquée par Saint Ambroise : “De incarnatione Dominicae
Sacramento“, III-21 in D.Masson p.111 : « Ne cherche pas quelle est la nature de
Dieu : je ne sais pas ! Ne pas savoir est meilleur que savoir. Ce que je sais bien,
c’est seulement que je ne sais pas et que je ne peux pas savoir ».
Dans Exode III-14, Dieu répond simplement à Moïse : « Je suis Celui qui Suis. ». Il
est dit dans le Coran que : « Dieu est plus savant ». Il est al “Muizzu“ (attributeur de
puissance), “Al Hasibu“ (le Sufficiens a se).
Pour le croyant, Dieu ne révèle ni Son nom, ni Son essence suprême. Dieu se fait
connaître par ses 99 attributs (sifât) ou appellatifs (asmâ) le 100ème nom, Son vrai
nom, restant caché, (sauf à certains Prophètes, tel Moïse). Ainsi les attributs de Dieu
sont appelés le “Hijeb al ism“ c’est à dire : les noms par lesquels « Il se désigne et se
cache ». Coran VII-180 « A Allah appartiennent les plus beaux Noms, ne L’invoquez
que par eux… ». Le nom Allah résulte de la contraction Al-Ilah : le Dieu suprême.
Dieu se révèle ainsi dans le Coran, par ses appellatifs, Il est:
De nombreux autres attributs émanent de Lui, mais son essence restant le Mystère.
Bref, toutes les valeurs sont confondues en Dieu dont l’Etre absolu est au delà du créé.
Le Credo total (Aqidâ) du musulman s’exprime ainsi, II-285 :
« Nous croyons en Dieu (Un, Omniscient, Omnipotent)
« Nous croyons en ses Anges, en ses Prophètes en ses Ecritures, nous croyons au
Jour dernier (“yawm-al-akhir“), nous croyons au Jour de la résurrection, et à celui
du Jugement dernier.
« Nous croyons en la Prédestination (al qadar) et dans le Déterminisme de nos
actions (qadha) ainsi que dans le libre arbitre (“ikhtiyar“)
Le credo islamique en Dieu réside dans :
1 – La Shahadah, le témoignage de la Foi : Point d’autre divinité
sinon Allah, Muhammad est son Serviteur et son Envoyé.
2 – La Sourate 112 dis : « Il est Dieu Un, Dieu Immuable (Eternel qu’on implore). Il
n’a pas enfanté ni été enfanté. Nul ne saurait l’égaler. »
3 – Dans les versets du Trône Dieu est le Vivant, le Subsistant, le vrai nom de Dieu
du début du verset reste caché (II-255) : « Dieu ! Il n’y a point de Dieu hormis lui, le
Vivant, le Subsistant. Il n’est sujet ni à la somnolence, ni au sommeil. A Lui
appartient ce qui est dans les cieux et sur la terre. Qui (peut) intercéder auprès de
Lui sans sa permission ? Il sait ce qui est devant et derrière eux, alors qu’ils
n’embrassent de sa science que ce qu’Il veut. Son trône s’étend sur les Cieux et sur
la Terre dont la conservation ne lui est d’aucun poids. Il est le Très Haut, l’Infini. »
4 – Il est la Lumière des Cieux et de la Terre. Coran 24-35 (an Nûr) : « Dieu est la
lumière des Cieux et de la Terre. Sa lumière est semblable à une niche où se trouve
une lampe. La lampe est dans un verre pareil à un astre étincelant qui s’allume
grâce à un arbre béni – un olivier qui n’est ni de l’Orient, ni de l’Occident – et dont
l’huile brillerait sans qu’un feu la touche ou peu s’en faut. Lumière sur lumière,
Dieu dirige vers Sa lumière qui Il veut. Il propose aux hommes des paraboles, Dieu
connaît parfaitement toute chose ».
5 – Enfin la Louange de Dieu (Sourate I) « Maître des Mondes, le Tout
Miséricordieux. Tout Compatissant, Maître du Jour de la Rétribution… ». « Rien ne
lui ressemble, il est le Clair-Audiant, le Clair-Voyant », et « Tout périt sauf sa face,
pleine de gloire et de majesté » (55-26, ar Rahmân). Il est plus près de l’Homme que
sa veine jugulaire (50-16, Qâf).
La Création (Khalq) résulte de la sagesse divine qui gouverne le monde, autrement
dit de la Providence. Cette création est continue dans un monde constamment étendu.
Temps et Espace entrent dans cette création (zamân wa-makân). L’univers est en
expansion, c’est la Loi d’entropie universelle. En effet, Coran 51-47 : « le Ciel, nous
l’avons construit par notre puissance et nous l’étendons constamment dans
l’immensité. » “WA SAMA-A BANAINAHA…WA INNA LA MUSSI’UNA“.
Dieu créa l’Homme selon un Pacte Pré-existentiel (Mîthâq, al’Ahd) (Coran II-63) qui
engage toute l’Humanité à n’adorer que Lui seul sans associé. C’est le rappel de ce pacte
primordial (Coran II–27) qui justifie dans l’Islam les prophéties successives jusqu’à
Muhammad (SAWS). Les hommes sont engagés par les différentes et successives prophéties
à se souvenir de cette éternelle promesse faite à Dieu par Adam et par toute l’Humanité de
ne rien lui associer. Coran II-152 : « Souvenez-vous de Moi, Je me souviendrai de vous,
soyez reconnaissants envers Moi, et ne Me méconnaissez pas ! »
Dieu a pardonné à Adam (Coran II-37) sa faute originelle, mais lui a imposé le séjour
terrestre afin de mériter par ses oeuvres et ses intentions le Paradis qui est avant tout la
contemplation de Dieu (et Sa présence, la Sakîna).
L’homme n’est donc pas tenu au rachat du péché originel, qui a été pardonné. Mais il doit
mériter la Grâce de Dieu (Rahma, Hidâya) à tout instant. Pourvu de la science des Noms
(Coran II-31) et instauré comme Vicaire de Dieu sur Terre (Coran II-30), l’homme est tenu
d’exercer sa raison, à faire le Bien, et à fuir le mal (Coran III-110), et à rechercher sans
cesse la Science et la Connaissance « Seigneur, ajoute à ma science ! » (Coran XX-114).
La Tolérance est une vertu cardinale de l’Islam, et la communauté musulmane est invitée à
ne pas s’écarter du juste milieu (II-143), à être une communauté de Bien (III-104). « Point
de contrainte en religion » dit le Coran II-255. « Ne discute avec les gens du livre qu’avec
courtoisie (Ahlu al kitab / Juifs et Chrétiens) (XVI-125).
Le Libre-arbitre (ikhtiyâr) et la Prédestination (Al Qadha wa al Qadar) font partie de la
Foi, car soumis à la volonté de Dieu l’homme n’en est pas moins libre de désobéir à cette
volonté, et de choisir la voie du péché, ou celle de la Rédemption.
Mais que l’on s’entende bien ici : la Prédestination (Qadha et Qadar) est la Loi de tout
l’univers qui obéit à des Lois préétablies ou prédéterminées par Dieu (Coran 35-43).
C’est la philosophie de Leibniz, théoricien de « l’harmonie préétablie des monades
placées par Dieu dans le meilleur des mondes possibles ».
Si Dieu est certes absolu en sa liberté et par le don de sa grâce (Coran 35-8), il en va
autrement des actions de l’Homme. Les actes de celui-ci dits « libres » (ikhtiyar)
obéissent en réalité à nombre de mécanismes conscients, mais aussi inconscients. De la
sorte, ses choix moraux impliquant son indétermination à la croisée de chemins du Bien
et du Mal (Coran S.90), mettent en jeu, certes, sa responsabilité subjective, son moi,
mais aussi toute la capacité de son surmoi à maîtriser ses pulsions, ses représentations,
voire ses actes inconscients, qui interférent sur cette liberté.
Là aussi la Science et la Foi en leur sagesse doivent aider l’Etre Humain à faire le tri
dans ses choix. « Le moralement fautif ne peut être qu’un ignorant » disait Socrate.
Mais le croyant musulman se rassure car « Dieu donne sa grâce à qui Il veut » (Coran
35-8), et L’Enfer n’est jamais éternel dans l’Islam. Enfin, « la Clémence de Dieu est
plus vaste que sa justice » (Hadith qudsi), plus vaste que son courroux. Et Dieu est
Pardonneur et Miséricordieux (Coran 1).
En 610 lorsque naquit l’Islam à la Mecque grâce à la Révélation faite à
Muhammad (SAWS), l’Arabie et tout le Proche Orient étaient parcourus par
les défenseurs de théories diverses et hétérodoxes sur les Ecritures. Si en
Europe le Christianisme avait en ce temps là peu à peu stabilisé et imposé la
doctrine de l’Incarnation, de la Trinité, et de la Rédemption, doctrine axée sur
Rome et Bysance, il n’en était pas de même en Orient.
Le Proche Orient refusait de partager la conception que le Catholicisme romain avait de la
vraie nature du Christ. Tout au long des six Conciles oecuméniques orientaux apparurent ça
et là des oppositions doctrinales et des hérésies.
Malgré les efforts des empereurs, des papes et malgré les campagnes soutenues par
les Pères de l’Eglise comme Saint Athanase, Ephrem, Basile, Grégoire, Epiphane,
Chrysostome, Jérôme, la stabilité des consciences était épisodiquement compromise
par les sectes chrétiennes. Il subsistait essentiellement de fortes survivances des
théories d’Arius (condamné par le Concile de Nicée en 325) de Nestorius (Concile
d’Ephèse (en 431) du monophysisme d’Eutychès condamné par le Concile de
Chalcédoine (en 451). Passons sur les conceptions Judéochrétiennes, Mazdéistes,
Docétistes, Jacobites, Baptistes, Millénaristes, Ebionistes etc…
L’appel de l’Islam, qui se situe dans la continuité de la Bible et de l’Evangile,
constitue un rappel et un rappel des dogmes antérieurs qu’il confirme au moins sur le
rapport à Dieu, SII-129 : « On dit soyez juifs ou chrétiens, vous serez sur la bonne
voie… » – (S. III-64) : « Notre Dieu est votre Dieu, n’adorons que Lui ». Venez à
nous pour une parole commune… (S. II-136) : « Dites, Nous croyons en Dieu et à ce
qu’Il a fait descendre à Abraham, à Ismaël, à Isaac, à Jacob, aux Tribus (d’Israël).
Nous croyons aux Livres Saints offerts à Moïse, à Jésus, aux Livres révélés aux
Prophètes par leur Seigneur… Nous ne faisons aucune différence entre les
Prophètes, et nous nous remettons à Dieu ».
L’Islam admet l’immaculée conception de Marie, qualifiée dans le Coran de
« Première Femme du monde » (III-42). L’Islam conçoit Jésus comme une parcelle
de l’Esprit de Dieu insufflé en Marie et renforcé par Lui, crée, miraculeusement,
(Coran 21-91). L’Islam retient Jésus, cité 23 fois dans le Coran, comme Esprit et
Serviteur de Dieu (Coran XIX-30).
L’Islam retient les miracles de Jésus (Coran III-49), et son annonce de Résurrection
(19-33) disant dans le Coran (19-33) : « Et que la Paix soit sur moi le jour où je
naquis, le jour où je mourrai, et le jour ou je serai ressuscité vivant … » – « WA
YAWM UB’ATHU HAYYEN ». C’est l’annonce de sa résurrection qui est ainsi
annoncée dans l’Islam.
L’Islam annonce également le Retour du Christ à la fin des temps et qu’il combattra
l’ANTECHRIST (Dejjâl), restaurera la Paix et la Justice universelles.
La position sur la filiation divine de Jésus (19-35) et la Trinité étaient déjà connues
dans les thèses des Chrétiens pré-chalcédoniens (sémites) arianistes ou monophysites.
Concernant la crucifixion du Christ, on retrouve dans le Coran une vision très voisine
des Docétistes du premier siècle chrétien. Coran IV-157 : « A cause de leur Parole –
« Nous avons tué le Christ Jésus fils de Marie, le Messager de Dieu » – ils ne l’ont pas
tué ni crucifié. En vérité ce n’était qu’un faux-semblant… Ils ne l’ont certainement pas
tué. Allah l’a élevé vers Lui… ».
Me sera-t-il permis d’approcher à propos de ce verset coranique l’Acte n° 99 de Jean
publié dans l’ouvrage de la Pléiade (Gallimard 1997) consacré aux Apocryphes,
dont l’intérêt ne peut en aucun cas être théologique.
par le Logos, qui a tracé une limite à ce qui est crée et inférieur, puis qui s’est
répandue en toutes choses, ce n’est pas la croix de bois que tu vas voir quand
tu seras descendu d’ici. Je ne suis pas non plus celui qui est sur la croix, moi
que maintenant tu ne vois pas, mais dont tu entends seulement la voix. J’ai
été considéré pour ce que je ne suis pas, n’étant pas ce que je suis pour la
multitude ; bien plus, ce qu’ils diront à mon sujet et vil et indigne de moi. En
effet, puisque le lieu du repos ne peut être ni vu ni décrit, à bien plus forte
raison, moi qui suis le Seigneur de ce lieu, je ne pourrai être ni vu (ni
décrit)… ».
Dans l’Evangile de Saint Jean, VI-12, « Jésus annonce la glorification par sa mort ».
On peut lire V.31 : « Jésus reprit… C’est maintenant le jugement de ce monde :
maintenant le Prince de ce monde va être jeté bas et moi, une fois élevé de terre, je les
attirerai tous à moi ». Il signifiait par là, dit l’Evangile, de quelle mort il allait mourir.
Il va de soi que la grande figure christique aura une place toute particulière dans
l’Islam qui annonce sa seconde venue sur terre à la fin des temps afin de vaincre la
Bête (al Dejjal) et ramener Paix et Justice (Christ de seconde venue).
L’inspiration mystique du Christ fascinera des hommes inspirés dans l’Islam qui
feront d’Al-Hallaj un musulman crucifié (922 à Baghdad) « dans une sorte d’imitation
de la Passion ». Louis Massignon puisera des positions communes voire des idées
syncrétistes comme dans la célébration des Sept Dormants d’Ephèse (Coran XVIII),
réunissant les deux religions à Vieux Marché (en Bretagne). Pour le grand maître Ibn-
Arabi (1165-1248), Jésus scellera lors de son retour sur Terre le cycle de la Sainteté
Universelle.
Nostra Aetate, Vatican II – 1965
« L’Eglise regarde avec estime les musulmans qui adorent le Dieu Un.
Vivant et Subsistant, Miséricordieux et Tout Puissant, Créateur du
ciel et de la terre, qui a parlé aux Hommes.
Ils cherchent à se soumettre de toute leur âme aux décrets de Dieu,
même s’ils sont cachés, comme s’est soumis à Dieu Abraham, auquel
la foi islamique se réfère volontiers.
Bien qu’ils ne reconnaissent pas Jésus comme Dieu, ils le vénèrent
comme prophète ; Ils honorent sa mère virginale, Marie, et parfois
même l’invoquent avec piété.
De plus, ils attendent le jour du Jugement où Dieu rétribuera tous les
hommes ressuscités. Aussi ont-ils en estime la vie morale et
rendent–ils un culte à Dieu, surtout par la prière, l’aumône et le
jeûne.
Si au cours des siècles, de nombreuses dissensions inimitiés se sont
manifestées entre les chrétiens et les musulmans le Concile les
exhorte à la compréhension mutuelle, à la justice, la liberté et la
paix ».
Le Pape Jean Paul II proclamait à Casablanca le 19 août 1985 :
« Nous tous, Chrétiens et Musulmans, nous vivons sous le soleil d’un Dieu Unique,
Miséricordieux – nous croyons tous en un seul Dieu Créateur de l’Homme – Nous
acclamons la Seigneurie de Dieu – Nous adorons Dieu et nous professons une
soumission totale à son égard – En ce sens, nous pouvons donc nous appeler les
uns et les autres, Frères et Soeurs dans la Foi en un seul Dieu, et nous Lui sommes
reconnaissants de cette foi parce que sans Dieu la vie de l’Homme est comme le
ciel sans le soleil ».
L’Islam, pour sa part, reste doctrinalement une religion de dialogue, de tolérance et
d’apaisement. Coran III-64 : « Dis : ô gens du Livre, venez à nous pour une parole commune.
Votre Dieu est notre Dieu sans associé… et nous lui sommes soumis ».
Pour Mohamed Abdou : « la Bible, l’Evangile, le Coran sont trois livres concordants, trois
prédications étroitement liées entre elles. Les hommes de religions les vénèrent également.
Ainsi se complète l’enseignement divin et sa vraie religion brille à travers les religions. Je
prévois le jour prochain où luira parmi les hommes la connaissance… alors les deux religions,
le Christianisme et l’Islam se tendront la main. »
En conclusion, à la question de cette “disputatio“ oecuménique qui nous a réuni ce
jour (Chrétiens et Musulmans ont-ils le même Dieu ?), pour moi, Musulman, ma
réponse convaincue est oui.
Wa salam !
« Nous avons, en vérité, révélé la Thora ou se trouvent une Direction et une Lumière.
« Nous avons envoyé, à la suite des Prophètes,
Jésus, Fils de Marie, pour confirmer ce qui était avant lui, de la Thora.
« Nous lui avons donné l’Evangile où se trouvent une Direction et une Lumière.
« Nous t’avons révélé le Livre et la Vérité,
Pour confirmer ce qui existait du Livre, avant lui,
en le préservant de toute altération.
« Si Dieu l’avait voulu, Il aurait fait de vous une seule Communauté,
mais Il a voulu vous éprouver par le don qu’Il vous a fait.
« Cherchez à vous surpasser les uns, les autres dans les bonnes actions.
Votre retour, à tous, se fera vers Dieu ;
Il vous éclairera, alors, au sujet de vos différends ».
“La Table Servie“, Sourate V, Versets 44, 46, 48
Jésus Fils de Marie dans le même message coranique :
Coran 21-91 (al Anbiya) : « Et la vierge qui avait préservé sa chasteté, nous insufflâmes en elle
un souffle venant de nous fîmes d’elle et de son enfant un MIRACLE pour l’Univers ».
Coran V.44-48 (Al Maïdah)
V.44 : « Nous avons en vérité révélé la Thora (la Bible) où se trouvent une Direction et une
Lumière (Hudan wa Nûrun) ».
V.46 : « Nous avons envoyé à la suite des Prophètes, Jésus fils de Marie pour ce qui était
avant lui de la Thora. Nous lui avons donné l’Evangile où se trouvent une Direction et une
Lumière (Fihi hudan wa nûrun) ».
V.48 : « Nous t’avons (Muhammad) révélé le Livre de Vérité pour confirmer ce qui existait du
Livre avant lui en le préservant de toute altération. A chacun, nous avons envoyé une Loi et
une Voie (shir’atan wa min haja). Si Dieu l’avait voulu Il aurait fait de vous tous une seule
communauté, mais par le don qu’il vous a fait, il a voulu vous éprouver. (LIYABLUAKUM).
Cherchez à vous surpasser dans les bonnes actions (STABIQU L KHAYAT). Votre retour à tous
est vers Dieu, alors il vous éclairera sur quoi vous étiez divergents (FAYUNEBBI-UKUM BIMA
KUNTUM FIHI MUKHTALIFUN) ».
croyons en Allah et en ce qu’on nous a révélé, et en ce qu’on a fait descendre vers
Abraham et Ismaël et Isaac et Jacob et les Tribus, et en ce qui a été donné aux Prophètes,
venant de leur Seigneur : nous ne faisons aucune distinction entre eux. Et à Lui nous
sommes soumis ».
Intervention du Père François Bousquet
Il faut que je m’en explique, car si la question est directe, en fait elle n’est pas simple. Elle
interroge sur une relation : on peut donc la prendre par l’un ou l’autre de ses termes : Dieu ou nous. Il
est évident qu’on ne peut la prendre qu’en nous interrogeant sur nous-mêmes : adorons-nous le même
Dieu ? Parce que, de l’autre côté, on peut seulement répondre que Dieu est Dieu, l’Unique, plus grand
que tout, le toujours-plus-haut, le Saint, l’Eternel, celui dont le mystère dépassera toujours notre
intelligence, et plus encore notre langage. Un mystère non pas qui arrête la pensée, mais qui donnera
toujours plus à penser, et à vivre. Ce qu’il va falloir regarder de plus près, c’est la nature de notre
relation à Dieu, que Dieu lui-même, croyons-nous, rend possible de sa propre initiative.
En tout cas je commence par dire que je ne peux pas répondre : non, nous n’avons pas le
même Dieu : la Tradition vive de la foi ne me le permet pas, même si elle me demande de souligner ce
qui nous différencie, tout en me demandant, comme l’a fait par exemple Christian de Chergé, si « nos
différences ont le sens d’une communion ». D’ailleurs le même Christian de Chergé écrivait : « Dire
Dieu autrement n’est pas dire un autre Dieu ».1
Tels sont donc les trois points que je vais traiter brièvement pour initier notre débat : pourquoi
je ne réponds pas non, à quelles conditions je réponds oui, enfin : quel est le travail qui nous reste à
faire sur la route à parcourir ensemble.
2.1. D’abord parce que la foi, en sa Tradition vive, authentique, ne me le permet pas. Les
textes seraient nombreux, de Vatican II à Jean-Paul II et Benoît XVI. J’en citerai seulement trois.
D’abord Vatican II, en sa déclaration Nostra aetate, au n° 3 :
« L’Eglise regarde aussi avec estime les Musulmans, qui adorent le Dieu un, vivant et
subsistant, miséricordieux et tout-puissant, créateur du ciel et de la terre 2, qui a parlé aux
hommes. Ils cherchent à se soumettre de toute leur âme aux décrets de Dieu, même s’ils sont
cachés, comme s’est soumis à Dieu Abraham, auquel la foi musulmane se réfère volontiers.
Bien qu’ils ne reconnaissent pas Jésus comme Dieu, ils le vénèrent comme prophète ; ils
honorent sa Mère virginale, Marie, et parfois même l’invoquent avec piété. De plus, ils
attendent le jour du jugement, où Dieu rétribuera tous les hommes ressuscités. Aussi ont-ils en
estime la vie morale et rendent-ils un culte à Dieu, surtout par la prière, l’aumône et le
jeûne. »
Je citerai un second texte, de Jean-Paul II. S’adressant aux communautés de l’Etat de
Kaduna (Nigeria) et en particulier à la population musulmane le 14 février 1982, il rappelait
que : « Nous tous, chrétiens et musulmans nous vivons sous le soleil du même Dieu
miséricordieux. Nous croyons les uns et les autres en un seul Dieu, Créateur de l’homme.
Nous acclamons la souveraineté de Dieu et nous défendons la dignité de l’homme comme
serviteur de Dieu. Nous adorons Dieu et nous professons notre totale soumission à Lui. Donc
nous pouvons nous appeler au vrai sens des mots : frères et soeurs dans la foi en le seul Dieu.
Et nous sommes reconnaissants pour cette foi, car sans Dieu, la vie de l’homme serait comme
les cieux sans soleil. Grâce à la foi que nous avons en Dieu, la chrétienté et l’islam ont
beaucoup de choses en commun : le privilège de la prière, le devoir d’une justice
accompagnée de compassion et d’aumône et avant tout un respect sacré pour la dignité de
l’homme qui se trouve à la base des droits fondamentaux de tout être humain, y compris le
droit à la vie de l’enfant qui n’est pas encore né. » 3
1 L’Invincible espérance, textes recueillis et présentés par Bruno Chenu, Bayard éditions / Centurion, p. 128.
2 cf. S. Grégoire VII, Epist.21 ad Anzir (Nacir), regem Mauritaniae : PL 148,450 s.
3 Insegnamenti 1982 V.1 pp. 436-438 Gi 389
Troisième texte : Jean Paul II, à Casablanca le 19 août 1985, dans son discours aux
jeunes musulmans, insistait : « Chrétiens et musulmans, nous avons beaucoup de choses en
commun, comme croyants et comme hommes. Nous vivons dans le même monde, marqué par
de nombreux signes d’espérance, mais aussi par de multiples signes d’angoisse. Abraham est
pour nous un même modèle de foi en Dieu, de soumission à sa volonté et de confiance en sa
bonté. Nous croyons au même Dieu, le Dieu unique, le Dieu vivant, le Dieu qui crée les
mondes et porte ses créatures à leur perfection. » Plus loin, il dit encore à ces jeunes
musulmans : « Je crois que nous, chrétiens et musulmans, nous devons reconnaître avec joie
les valeurs religieuses que nous avons en commun et en rendre grâce à Dieu. Les uns et les
autres, nous croyons en un Dieu, le Dieu unique, qui est toute Justice et toute Miséricorde ;
nous croyons à l’importance de la prière, du jeûne et de l’aumône, de la pénitence et du
pardon ; nous croyons que Dieu nous sera un Juge miséricordieux à la fin des temps et nous
espérons qu’après la résurrection, il sera satisfait de nous et nous savons que nous serons
satisfaits de lui. »4
2.2. Ensuite, c’est le second élément de ce premier point, je ne réponds pas : non, parce que je
ne pense pas valides ou convaincants les arguments de ceux qui affirment que nous ne croyons pas aux
même Dieu. Il y a une controverse noble, et il y a une polémique stérile.
Au dossier de la controverse noble, je voudrais verser un élément, au premier abord
énigmatique, mais qui doit nous donner beaucoup à réfléchir. Quand un chrétien me dit : mais tout de
même, nous ne pouvons pas dire que nous prions le même Dieu, puisqu’ « ils » (pardonnez ce
pronom !) ne croient pas à l’incarnation et à la Trinité, je réponds : mais avez-vous prêté attention à la
foi de nos frères juifs, nos aînés dans la foi ? C’est la même foi que nous partageons : bien plus : nous
ne pouvons nous comprendre sans eux, et nous ne pouvons déclarer, même si vous dites que cela est
l’ « Ancien » et que du « Nouveau » est advenu, que l’Ancien soit aboli. C’est le bien le même Dieu
auquel nous nous rapportons, Juifs et Chrétiens (au point de prier avec les mêmes Psaumes), en le
reconnaissant à partir de ce qu’il a fait pour nous. Rien ne fera que notre foi ne soit celle d’Abraham,
alors même qu’il y a débat entre nous sur l’accomplissement de la promesse dont il fait l’objet. Le cas
d’Israël est tout à fait spécifique, certes, Peuple de Dieu porteur des promesses, mais pourtant nous
partageons sa foi, qui ne s’énonce pas comme nous le faisons dans le Credo trinitaire.
Il y a aussi une polémique stérile, en ce qu’elle est simpliste sur ces sujets. Grossièrement
exprimé, dans un imaginaire chrétien faussé souvent par la peur, on dit, hélas, que l’Islam est surtout
« sans » : c’est Dieu sans la Trinité, et Jésus sans la divinité. Et on prétend s’autoriser à dire cela sous
prétexte de répondre au reproche aussi simpliste que nous serions idolâtres et polythéistes. Cette
polémique a duré des siècles, mais ne montre rien de plus que l’ignorance et la violence mutuelles,
dont nous ne saurions tirer argument. La mémoire mutuellement blessée ne doit pas l’emporter ; c’est
quand les choses tournent mal qu’il faut faire encore plus attention. Chrétiens, avons-nous bien
regardé ce dont il est question quand il s’agit de n’« associer » à Dieu rien de ce qui n’est pas Dieu…
En fait nous sommes monothéistes, et nous ne pouvons être chrétiens sans tenir compte de cette mise
en garde.
Le plus grave est que la polémique passe du plan théorique au plan pratique, et que la mémoire
des violences mutuelles, la mémoire du sang, est longue à guérir. Cela ne se guérit que par la bonne
estime mutuelle, plus encore : la fraternité retrouvée et le travail en commun pour la paix.
L’intelligence mutuelle peut et doit servir à la réconciliation, et ici un principe méthodique s’impose
pour nous guider : on ne peut dialoguer si l’on se jette à la tête mutuellement les sous-produits frelatés
d’une religion : il faut faire crédit à l’autre du plus haut et du meilleur de ce à quoi il tient.
C’est pourquoi j’en viens aux arguments positifs.
C’est aux chrétiens de montrer que leur foi en Dieu est monothéiste, que nommer Dieu Père,
Fils et Esprit, redouble en quelque sorte la transcendance du Dieu unique. Je ne crois pas utile d’entrer
dès à présent dans un débat longuement documenté siècle après siècle, et dont il faudra peut-être parler
dans la suite de notre disputatio, je pense plutôt utile de redire par où la foi chrétienne, alors même que
l’accès à Dieu est différent, rejoint les préoccupations des penseurs musulmans.
4 Cité dans : Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, Reconnaître les liens spirituels qui nous unissent –
Seize ans de dialogue islamo-chrétien, Cité du Vatican, 1994, p. 65.
3.1. Il me semble que deux propositions doivent être tenues simultanément : le Dieu unique
nous demande d’abord de refuser toute idolâtrie, mais aussi : la véritable adoration consiste à adorer
Dieu comme il se révèle. 5
Le chrétien, quand il tente alors de rendre compte de sa foi au Dieu unique et trine, ne peut que
renvoyer à l’événement de la vie, mort et résurrection de Jésus-le Christ, qui surprend le croyant qu’il
est, ou qu’il est un jour devenu, en ce que Dieu révèle de cette manière, ainsi, sa profondeur d’une
manière inouïe. Ainsi, c’est-à-dire de la crèche à la croix. Il va falloir, à partir de là, changer notre idée
de la Toute-Puissance de Dieu : Dieu est tellement puissant que rien, même pas notre petitesse, notre
finitude, ne l’empêche de nous rejoindre, et c’est la crèche ; plus encore, rien, pas même la mort, pas
même le péché, ne l’empêchent de nous rejoindre, et c’est la croix.
D’où tous les paradoxes chrétiens, que nous ne pouvons desserrer : le Tout-Puissant est
capable d’assumer notre petitesse, l’Infini d’entrer dans le fini, l’Eternel de vivre dans le Temps,
l’Esprit d’assumer la chair, le Bienheureux d’éprouver en son Verbe incarné ce qu’il en est de la
souffrance, le Vivant de traverser la mort. Paradoxes qu’on ne peut desserrer, mais qui donnent à
penser.
3.2. Deux choses sont engagées là, qui sont liées (en particulier dans le concept de mystère,
qui lie le révélé et le caché en Dieu) : la révélation, et la transcendance. La révélation, pour nous –
j’englobe dans ce « nous » juifs et chrétiens – est l’engagement de Dieu envers sa créature. Et quand
Dieu communique, il ne délivre pas seulement un message à propos de lui-même. Conformément à ce
que signifie « connaître » bibliquement, il se communique Lui-même, en donnant son Nom, un nom
énigmatique certes, mais qui donne vraiment accès à sa personne.
Mais, du Judaïsme à ce qui émerge avec l’événement de Jésus, l’inouï est que l’on passe,
quant à la révélation ou à l’engagement de Dieu, de l’Alliance à une Incarnation, en vue de la
Transfiguration. Le défi propre aux disciples de Jésus est alors de tenir que l’Incarnation (et la Croix)
redoublent la transcendance ou le mystère de Dieu, mystère de grâce, d’amour bienveillant, puisque
Lui-même a décidé de se lier. Je me souviendrai toujours de cette parole d’un enfant, qui m’a tant
surpris : « C’est simple : il est venu chez nous pour que nous allions chez lui… » Pour nous faire
partager sa vie, Dieu lui-même, en la personne de son Fils, vient d’abord partager la nôtre, jusqu’à
l’ultime.
Surprise générale, depuis la première génération chrétienne jusqu’à aujourd’hui ! Quel est ce
scandale ou cette folie, pour parler comme saint Paul ? Pourtant, il est une formule qui permet de tenir
ensemble le mystère et la reconnaissance, le mystère préservé de Dieu, approfondi comme ce que l’on
a, à force de réflexion des Pères et des Conciles, appelé le « mystère trinitaire », et le salut où Dieu
vient nous rejoindre et se fait reconnaître comme il est dans ce qu’il fait pour nous. Cette formule
pourrait s’énoncer ainsi : si le dessein de Dieu qui rassemble tous les autres desseins est de nous faire
partager ce qu’il vit, alors vient au centre la joie d’une unicité de communion, la joie de la communion
dans la différence maintenue. Le Dieu unique, Père, Fils, Esprit, est le même, qui est créateur et
sauveur…. Sa vie trinitaire est joie de la communion dans la différence maintenue ; et, sous un autre
rapport, car le rapport entre Créateur et créature ne tombe sous le même altérité que la différence des
personnes divines, il s’agit pourtant encore de la joie de la communion dans la différence maintenue.
Surprise, faut-il dire alors, à partir de la vie de Jésus, toute tournée vers son Père qui est aux
cieux et vers ses frères humains : au-delà de la résurrection, voilà que les disciples réalisent que
pendant le « repas du Seigneur », matriciel pour la communauté, ils s’adressent à Jésus comme à Dieu.
Oui, chrétiens, nous adorons un homme, un Unique absolument unique, en l’aimant comme seul Dieu
peut être aimé. Mais c’est la croix et le chemin qu’elle ouvre pour nous qui nous barrent la route de
l’idolâtrie, à commencer par l’idolâtrie de l’humain, comme de la chair et du monde. Et c’est sa
résurrection et transfiguration qui nous invitent à nous déprendre d’un visage humain de Dieu qui ne
serait que le masque de nos pseudo-triomphes, au lieu d’être le Visage qui vient traverser avec nous
l’épreuve. L’humilité, contre toute humiliation, et rien de perdu, de défiguré, qui ne soit promis à
transfiguration…
5 Ce développement renvoie à un article intitulé : « Le Dieu trinitaire comme Dieu unique. Jalons pour un
dialogue entre les monothéismes », que ai publié en arabe sous le titre « Al-Ilãh al-Thâlûthî ka-Ilãhin Ahad » (« Le
Dieu trinitaire comme Dieu Unique »), dans : La Revue sacerdotale théologique, biblique, pastorale (al-Majallat
al-Kahnoutiyat), Beyrouth, 2004.
La méditation trinitaire n’est pas une construction de concept, elle est contemplation de la
croix, et alors de la genèse… Au coeur est l’Esprit de Jésus et de son Père, vie échangée, dont nous
avons vu l’infini par le « jusqu’au bout » de la croix. Esprit qui, de la Pentecôte à la Parousie, se fait
présence multipliée, charité répandue dans les coeurs.
Voilà comment nous tentons de dire, chrétiens, que croix et résurrection sont ruine de
l’idolâtrie et attestation de l’unicité de Dieu.
Notre première appréhension théologique de Dieu s’en trouve transformée. Mais ce n’est pas
le rôle du théologien que d’assigner Dieu à résidence. Il faut laisser l’Absolu être l’Absolu tel qu’Il a
voulu le révéler. Pour le dire en une formule compacte : l’Absolu atteste qu’il est en lui-même relation
en entrant dans le relatif – sans cesser d’être ce qu’Il est : Il veut simplement l’être avec nous et pour
nous.
Il va falloir aussi modifier notre concept trop humain de puissance, comme je l’ai déjà dit. Et
surtout, en prenant le chemin de Dieu, humainement vécu par Jésus, Verbe incarné, convertir la
puissance en service.
Il va falloir enfin convertir toute approche de la Vérité qui prétendrait l’enfermer : Dieu est la
vérité la plus haute, la vérité toujours plus grande. Quand elle prend visage humain, c’est dans le
Crucifié : la vérité la plus haute est pour les chrétiens ce que nous avons vu à la croix : le corps à corps
que Dieu lui-même en la personne du Fils a voulu, jusqu’à la fin, avec l’humain, et le plus perdu,
l’homme de souffrances… La vérité n’est pas ce qui nous donne raison, elle est ce qui nous juge.
Je serai volontairement bref. Au fond, reconnaître que croyons au même Dieu, même si c’est
différemment, n’est pas une promenade de plaisir, une sorte de facilité qui réduirait les aspérités, en
noyant les difficultés dans un consensus de bon ton. C’est d’une très forte exigence. Oui, l’unicité de
Dieu nous invite à nous convertir de toute idolâtrie. Mais alors plusieurs tâches assez rudes nous
attendent, juifs, chrétiens, musulmans, si chacun entend bien que la grandeur, la transcendance du
Dieu toujours plus grand est charité.
La plus urgente est de ne pas laisser instrumentaliser le Nom de Dieu à des fins politiques, ou
lui faire cautionner au nom de l’absolu qu’il représente quelque violence que ce soit. Les responsables
religieux des trois monothéismes portent devant l’histoire une très grande responsabilité chaque fois
qu’ils se tairont sur ce point devant leur communauté et devant la société tout entière. Non seulement
nous ne devons pas prononcer en vain le Nom de Dieu, mais nous devons veiller à ce qu’il ne
cautionne pas la violence.
La seconde est de travailler sans relâche, au ras du quotidien, à une meilleure convivialité, à
une plus grande connaissance mutuelle, à entreprendre chaque fois que c’est possible des actions en
faveur de l’humanitaire, afin de bien signifier que nos différences ne sont pas séparatrices et qu’elles
sont au service de l’humain qui est si grand dans le coeur de Dieu.
La troisième est de continuer inlassablement le dialogue qui permet d’échanger en profondeur
sur l’expérience spirituelle qui est vécue dans nos Traditions respectives (on n’entre pas en dialogue,
en effet, si l’on n’est pas saisi par la profondeur de l’expérience spirituelle de l’autre). En louant Dieu
avec nos coeurs et nos intelligences, il nous faut continuer à tracer ensemble des sentiers d’avenir. La
question n’est pas : qu’avait Dieu en tête quand il a permis qu’apparaissent dans le temps nos
religions, mais, en avant : que pouvons-nous, à partir de nos ressources spirituelles, espérer ensemble,
pour tous… Espérer, ensemble, et : pour tous…
Professeur François BOUSQUET