I – Les Grands Principes et la Loi
La Loi islamique ou Shari’a est un ensemble d’obligations à caractère juridique qui ont pour sources
1 – Le Coran : révélation, parole divine : d’obligation cardinale.
2 – La Sunna : c’est le « bon exemple », la Tradition islamique qui reflète ce qu’a dit le Prophète (Hadith) ou donné lui-même en exemple ou enseigné.
3 – L’exemple des Compagnons du Prophète peut aussi être invoqué : par ex. le Azl (contraception) autorisé par le Prophète à ses compagnons à Médine.
4 – L’expansion de l’Islam amena de nombreux juristes (Fouqaha) à développer une jurisprudence (Fiqh) généralisant la Sharia ou droit islamique à tous les aspects de la vie publique ou privée. Cet effort des juristes s’appelle IJTIHAD, repose sur des procédés juridiques plus ou moins forts.
a – le consensus (IJMA’)
b – le raisonnement analogique (QIYAS)
c – l’avis personnel (RAY)
Ces démarches aboutissent à une décision juridique : la FETWA qui engage les croyants, les autorités … à la respecter.
Les 4 grandes Ecoles Juridiques de l’Islam sunnite sont :
1 – Le Hanafisme (Imam Abu Hanifa 699-767) Ecole de l’Irak, de la Turquie basé sur l’ISTIHSAN
2 – Le Malekisme (Imam Malek B. Anas 712-796) Ecole de Médine, du Maghreb – Traité Juridique = AL MUWA ATTA
3 – Shafeisme (Imam al Shâfi’i, 767-820) Ecole de l’Egypte (Qiyas)
4 – Hanbalisme (Ibnu Nambal (780-865) = BAGHDAD
retenons que des principes généraux se dégagent sur le plan méthodologique :
a – L’intérêt général ou particulier.
1 – le Bien public : Maslaha’ama : La communauté est vivante, son intérêt oriente la jurisprudence individuelle.
2 – Une nécessité extrême autorise ce qui est interdit : le porc, la bête morte, l’alcool, les opiacés interdits sont licites sont licites en cas de danger pour la vie. La nécessité doit être l’exception et non une règle ni un plaisir.
Coran : « Pour quiconque est contraint … Le Seigneur est Pardonneur et Miséricordieux ».(SVI-145).
De même lorsque le besoin persiste : greffe de cellules où de pancréas où de pancréas ou de valvules d’origine porcine, la nécessité « chronique » peut ouvrir droit à une autorisation « d’exception ».
Tout préjudice à autrui doit être évité
dans l’Islam le devoir vis à vis de son prochain entraîne un Droit d’autrui à l’assistance, à la solidarité, à l’acte méritoire
Le Droit musulman prend en constante considération :
– le Droit individuel : Haqq an-nafs
– le Droit d’autrui : Haqq an-nas
– le Droit divin : Haqq Allah
Coran : « les actes ne valent en vérité que par l’intention », et : « Vous êtes une Communauté de Bien qui ordonne ce qui convient et interdisez ce qui est blâmable. »
Le principe de l’utilité supérieure aux inconvénients (maslaha) peut être invoqué quand un avantage et un désavantage s’opposent, le plus prépondérant doit prévaloir dans un but d’utilité publique (maslaha = École Malékite).
L’Ecole Chaféite est soucieuse du Bien public qui résulte d’une action, en soigneusement les avantages et les inconvénients d’un choix, d’une nouveauté. Coran II – 216 : « Peut être détesterez-vous une chose alors qu’elle est un bien pour vous, et peut être aimerez-vous une chose alors qu’elle est un mal pour vous ».
L’Altruisme
qui préside aux dons d’organes résulte du fait Coranique « Quiconque donne la vie à un être c’est comme s’il avait fait don de la vie à toute l’humanité ». Ce don est alors considéré comme une bienfaisance, un acte de charité.
Donner son sang, un organe est un acte de piété, car il y a une intention bénéfique.
Coran : « Entr’aidez-vous par bonté pieuse et foi sincère.
Respect de la vie
La vie est un don de Dieu « C’est Dieu qui donne la vie, c’est Dieu qui fait mourir… » Coran : Le don d’organe peut être un don de vie, un acte de bienfaisance. Mais Nul ne doit se donner la mort (suicide) ni la donner (crime) ni la proposer (l’euthanasie).
La Personne humaine
L’homme est investi pour sa dignité du statut de Vicaire de Dieu sur Terre (Coran II – 30 : Le Seigneur dit aux Anges, je vais établir un Vicaire sur terre = Khalifat-Allah). L’homme sur terre est prolongateur de l’oeuvre de Dieu. Il est porteur du de la Foi (AMANA) et doit respecter son engagement (Mithaq) qui le lie à Dieu en n’adorant que Lui.
En outre pour éclairer sa foi, Dieu l’a investi de la science des Noms : il apprendra à donner un nom à toute la création.
Cette mission confère à l’homme sa dignité et son statut particulier dans le monde visible et invisible (les Anges).
La mort
La mort humaine est un décret de Dieu (Ajal) : quand son terme arrive, nul ne peut l’avancer ni le reculer, nul homme n’est autorisé à la donner. Il faut tenir compte de ce fait dans les soins palliatifs où le croyant musulman attend la seule chose qui compte au delà de l’agitation des hommes : le moment de la mort du seul décret de Dieu.
La mort se dit, en arabe al-wafat : C’est un accomplissement de la vie éphémère destinée à entrer dans un au-delà où elle sera jugée et récompensée par la grâce de Dieu.
Aucune atteinte à la vie n’est permise : la Loi de Dieu est une Loi de Vie.
AL Mawt (mort) signifie l’arrêt définitif des fonctions biologiques (humaines, animales, végétales).
Le corps
« Les corps parleront » : « C’est Dieu qui nous fait parler.. » à la Résurrection. Ils témoigneront des actions des âmes dit le Coran S.41-21.
Un corps vivant ou mort a le même statut de Dignité il n’appartient pas à la personne. Il est à Dieu et retournera à Dieu. L’incinération, la non inhumation, la mutilation : interdites.
Les autopsies non justifiées par un impératif médico-légal ou de recherche légitime d’une cause de mort ne doivent être autorisées qu’avec réserve et cas par cas.
La maladie
Toute maladie vient de Dieu. Il n’est point de maladie sans que Dieu n’ait prévu son remède. Le musulman attend avec confiance le remède proposé par les médecins qui ne sont que les « effecteurs » de la volonté divine. Le contrat qui lie le médecin à son malade est un contrat de moyens non un contrat de résultat.
La fin de la vie
le musulman craint de mourir isolé de son contexte religieux. La mort est inéluctable, ce qui compte c’est la nécessité d’une assistance religieuse en fin de vie, pour les rites funéraires, les prières (40ème jour) et la mise en terre tourné vers la Mecque, et surtout la récitation de la Shahada (Attestation de la Foi) répétée plusieurs fois au moment de mourir.
Les interdits de l’Islam
– Porc interdit Coran V.3 : « Il vous est interdit de consommer la chair d’une bête morte, le sang et la chair du porc, la viande d’un animal sur lequel ou aura invoqué une autre divinité qu’Allah. »
Cette interdiction est retrouvée dans le Judaïsme, Hérodote (480 av. J.C.) rapporte cet interdit sacerdotal, comme une souillure dans l’Egypte pharaonique. La « tradition judéo chrétienne » la retient également.
– L’alcool, les narcotiques, les opiacés ou toutes les toxicomanies sont interdits en tant que perturbant le rapport clair à Dieu.
Mais le Coran ajoute : II.73 : « Mais il n’y a pas de pêché pour celui qui est contraint sans toutefois abuser ni transgresser . » En cas de souffrance excessive, morphine et opiacés sont bien sûr autorisés.
Prescriptions de l’Islam
1) soigner son corps en cas de maladie : le corps est un dépôt sacré confié à l’homme.
Hadith : « Tout remède est inscrit dans la destinée humaine »
Hadith : « Soignez-vous, Dieu n’a pas crée de maladie sans lui avoir prévu un remède ».
2 – Prévention : ne pas s’exposer (épidémies, risques divers)
Coran IV – 29 : « Ne soyez pas cause de votre propre mort ».
Coran IV – 195 : « Évitez de vous jeter dans le péril de votre propre fait ».
3 – Hygiène corporelle (ablutions) quotidienne.
II – Islam et Problèmes Modernes
La contraception
Elle est permise au cas ou «la santé, la beauté de la femme ou lorsque l’équilibre économique « l’exigent »
L’idéal religieux reste la procréation dans le cadre de la famille légitime.
L’Ethique sexuelle dans l’Islam ne reconnaît que les relations à l’intérieur du couple légitime. Le préservatif ne se conçoit et n’est autorisé que dans ce cas. Comme dans la Bible l’adultère est considéré dans l’Islam comme un péché majeur (Zîna).
Interruption de grossesse
– l’IVG est interdite
. Pour la majorité des juristes : dès la fécondation, c’est à dire l’apparition de la vie.
. Pour l’Ecole Hanbalite : à partir du 120° jours seulement
– l’ITG est permise avant et au delà de cette date si la médecine l’exige (principe de la nécessité extrême) notamment plus si la vie de la mère est en danger.
Procréation médicale assistée
– Toutes les techniques de fécondation qui respectent les gamètes parentaux et l’utérus maternel légitime sont permises.
interdits : insémination par donneur autre que le père, la « location d’utérus » etc…
– la fécondation in vitro est permise à partir des gamètes parentaux et retour de l’oeuf fécondé dans le sein maternel.
En Génétique
Un grand principe : respect du génome de transmission parentale. Le don d’embryon est interdit. Des embryons surnuméraires sont la propriété vitale des parents.
– Les anomalies détectées par le Diagnostic Prénatal sont :
– Les gènes délétères
– Les chromosomes surnuméraires (Trisomie 21)
– l’Absence de chromosomes.
Le Diagnostic Présymptomatique recherche les porteurs sains d’une maladie héréditaire dans la population générale et les familles à risque. Ex : La Polykystose rénale, la chorée de Huntington → graves atteintes de la qualité de vie. Les anomalies des gènes récessifs (ou dominants) entrent dans le cadre d’une médecine prédictive qui doit préciser ses limites éthiques (secret médical ?)
La thérapie génétique distingue :
– la génothérapie germinale : totalement rejetée
– la génothérapie somatique : sujet d’avenir qui tiendra les informations concernant les cartes génétiques, quel secret ?
Islam : Prénatal est un viol par effraction des secrets génétiques. Il ne doit se faire que par des cas précis sur demande parentale.
Eugénisme :
Prof. MATTEI : « Toute pratique eugénique tendant à l’organisation de la sélection des personnes en fonction des gènes, du sexe, des caractères physiques ou psychiques est interdite ».
« La découverte d’une Trisomie 21 posant le problème de l’ITG ne doit pas faire l’objet de recherche systématique de la trisomie comme base d’une politique eugénique systématique, laquelle doit être Prohibée ».
Position de l’Islam sur ces questions :
– Nul n’a le droit de disposer de la vie d’autrui, de sa destinée, de ses secrets.
– Seul Dieu décide du DESTIN de chacun
– Nul ne peut décider d’une ITG, seulement autorisée en cas de danger pour la vie de la mère ou de léthalité certaine de l’embryon
– Enfin un foetus même mal formé a un droit incontestable à la vie.
Le Clonage
C’est la réplication de plusieurs -individus à partir d’un oeuf.
Islam : Chaque individu est UNIQUE de l’oeuf fécondé – individu constitué. VICAIRE DE DIEU.
Si l’animal a fait l’objet d’expériences de clonage on ne peut accepter une telle expérience sur l’humain → Quelle humanité demain ?
III – Transplantations – Greffe et don d’organes
a – Principe
Celui qui donne un organe à autrui fait acte de bienfaisance (Hasana).
« Quiconque donne la vie à un être humain, c’est comme s’il faisait don de la vie de toute l’humanité ».
Le prélèvement d’organe ne peut toutefois avoir lieu que sur un individu consentant ou un défunt dont la famille, ou la communauté ont donné leur accord.
Les prélèvements doivent respecter la dignité du corps des donneurs et se faire par stricte nécessité. Pas de commercialisation, éviter les abus de prélèvements.
La mort cérébrale du donneur doit être prouvable à tout requête de la famille ou de la justice.
b – Histoire de la greffe dans l’Islam
– En 624 le Prophète de l’Islam dit la Tradition aurait lui-même remis en place le bras et la main de 2 blessés parmi ses compagnons après la bataille victorieuse de Badr.
– an Nawawi (imam qui vécut de 1233 à 1272) consacre plusieurs chapitres aux greffes dentaires et osseuses dans 2 traités pédagogiques AL Majmu’ et Minhaj at-Talibin
– le célèbre Zakaria al Qazwini (1203-1283) traitant de l’anatomie comparée de l’homme et de l’animal conseille la greffe d’os d’origine porcine comme xénogreffes la souvent rejetée.
– la jurisprudence islamique aujourd’hui autorise les greffons d’origine porcine : greffons osseux, valves cardiaques, glandes… en cas de «nécessité extrême ». (cf.Supra)
– la même jurisprudence considère qu’un organe prélevé sur un cadavre n’est pas une impureté pour le receveur musulman et qu’un organe provenant d’un non musulman est accepté (nécessité extrême).
– En 1985, l’Académie islamique du Fiqh réunie à la Mecque autorise en reconnaissant licite
– Les autotransplants (peau, os d’une partie à l’autre du corps).
– Prélèvement d’organes à partir d’un vivant pour sauver une autre personne en danger.
– Elle encourage de don d’organes librement consenti en évaluant correctement les risques eu égard aux bénéfices à tirer de ces interventions sur l’homme.
– L’Université Al Azhar considère comme illicite (Haràm) le commerce des organes, qui ne sont pas la propriété de l’Homme mais une AMANAH, dépôt sacré, confié par Dieu.
– Par ailleurs l’académie du Fiqh de New Delhi refuse le principe du don d’organe par Testament, car l’organe n’est pas la propriété de la personne qui n’en est que dépositaire.
– C’est en 1959 que la première greffe (cornée) eut lieu avec le bénéfice de décisions juridiques (FETWA) accordées par le Grand Muphti d’Egypte (Hassan al ma’mun) et le conseil des Ulama d’Arabie.
– En 1973 le nouveau Grand Muphti d’Egypte, Cheikh al Khater, autorise les prélèvements de peau à partir de personnes mortes ou vivantes
– Coup sur coup des conférences de juristes à Riyad, Djedda, à Amman et au Koweït de 1981 à 1990 décrètent :
– que les dons d’organes sans esprit de lucre et opéré dans des conditions de Sagesse et Dignité ne sont pas contraires à l’Enseignement islamique s’ils répondent à une nécessité, un bienfait, et si le donneur vivant n’est pas mis en danger (problème des organes pairs ou impairs)
– enfin les greffes de tissus embryonnaires à partir d’embryons expulsés pour d’autres raisons que la greffe, requièrent l’autorisation parentale.
Depuis ces prises de positions officielles de l’Islam en matière de greffes d’organes et de transplantations, des problèmes éthiques nouveaux sont apparus, n’obtenant que des réponses de principe, et non de droit :
A propos des receveurs notamment :
– les malades âgés : à partir de quand est-on un sujet âgé, et à quel âge est-on au dessus de tout acte de transplantation ?
– les enfants sont-ils prioritaires ?
– concernant les étrangers aucune réponse n’existe !
– doit on enfin choisir (et qui choisira) les receveurs en fonction d’un âge ou d’une utilité sociale
– le coût élevé des actes de transplantation sera-t-il mis à la disposition de tous avec justice ? Assistera-t-on à un « marché » des organes à transplanter ? (l’Islam s’y oppose) d’où l’importance éthique de la gestion des listes d’attente
– dernier point : La Loi Caillavet
c’est la présomption d’accord du défunt en l’absence de refus préalablement exprimé auprès de la famille ou dans un registre hospitalier. L’Islam s’oppose à cette politique de prélèvement d’organes qui refuse au donneur l’expression d’un acte volontaire de bienfaisance et de solidarité librement consentie.
Autres problèmes éthiques
– la circoncision mâle est une tradition de l’Islam SUNNA en exemple d’Abraham qui la pratiqua lui-même. Elle s’effectue entre 4 et 13 ans maximum. Elle n’est pas un signe « d’Alliance » comme dans le judaïsme, mais un signe d’appartenance communautaire (Umma)
– L’excision (Khifadh), l’infibulation chez les fillettes sont des actes contraires à la dignité humaine, des pratiques attentatoires extrêmement graves prohibées par la Loi française. Al Azhar prit des mesures d’interdictions définitives de ces amputations criminelles comme « contraires à la Tradition de l’Islam et aux coutumes de l’Egypte » (1996) Cheikh Tantaoui.
– LE SIDA : Dans le monde musulman un énorme effort d’information et de prévention est passé dans les opinions publiques. Les malades sont pris en charge de façon « moderne » et clinique. Il n’est plus question de les isoler.
– La greffe de cellules embryonnaires indifférenciées d’origine neuronale ou masculine ont démontré leur action anti Parkinosonienne par certains effets Dopaminergiques.
– Une crainte éthique : la mutation imprévisible de telles cellules ?
On le voit, l’Islam, religion de respect de l’homme « dignité » et spiritualisé par son rapport unique à Dieu, engage l’humanité à se respecter elle-même en veillant à ce que ses progrès scientifiques et techniques soient en permanence confrontés à une éthique essentiellement humaniste.
Dr. Dalil BOUBAKEUR : Recteur de l’Institut Musulman de la Mosquée de Paris