Pour le musulman, Allah représente non pas le nom de Dieu infiniment inaccessible à l’homme, mais Dieu littéralement « le Dieu » : « Al-Ilâh » , devenu Allah par contraction ; (Al-Lah) -> Allah.
En effet la relation fondamentale de l’homme à Dieu est la transcendance : Dieu transcendant à l’homme signifie que ce dernier est incapable de saisir Son essence, Son nom, Sa nature et même Sa science : le verset du Trône : « Ils n’embrassent de Sa science que ce qu’Il veut » , insiste sur cette limite des capacités humaines. Cependant Dieu pour le musulman est Unique, Seul, n’ayant pas d’associé (S.II – 112).
La Nature, l’Essence de Dieu est en effet transcendante à l’entendement humain car Il est ce qui dépasse toute sensation, tout intellect et toute raison. Sa connaissance ne peut être qu’un a priori dominant toute expérience.
Je peux donc savoir que Dieu est, mais suis incapable de dire ce qu’Il est – Indicible, Il est au dessus de toute affirmation et de toute négation. Et toute réflexion sur l’Etre (ontologie) est une réflexion sur Dieu.
En même temps cause et premier moteur de l’Univers, Dieu est principe, moyen et fin pour l’Islam. La seule preuve possible de la réalité, de l’existence perceptible de Dieu à l’échelon humain est finalement la réalité et l’existence de l’Idée-même que nous avons de Lui, de tout temps et partout où des hommes s’éveillent à l’Idée. Autant dire que pour tenter de concevoir « quelque chose » de Dieu il faut d’abord se situer dans un état de dépassement de la raison, de libération de nos humaines habitudes de voir le monde, et de raisonnement grossier.
(S. 36-82) : « Quand Il crée il suffit qu’il ordonne et la chose « est » .
Dieu a crée l’homme limité dans son intelligence et sa raison. C’est pourquoi Dieu a révèlé à l’homme par ses Envoyés, ses Prophètes et ses Messagers que l’Islam a définis comme des rappeleurs de l’existence de Dieu et des devoirs de l’homme depuis la création du monde : Adam, Noé, Abraham, Moïse, Jésus, Mohamed, tous les Prophètes ont successivement rappelé à l’homme oublieux ou pervers son devoir de l’adoration et de soumission à Dieu. L’Islam signifie littéralement : soumission confiante à Dieu Tout Puissant. Le Coran confirme :
(II-136) : « Dites : Nous croyons en Allah, en ce qui a été révélé à nous, à Abraham, à Ismaël, à Isaac, à Jacob, aux Tribus, en ce qui a été attribué à Moïse, à Jésus et aux Prophètes par leur Seigneur. Nous ne faisons aucune différence entre eux et nous Lui sommes soumis ».
Et aussi ce rappel (V – 7 : Al-Maïda) « Rappelez-vous le bienfait d’Allah ainsi que le pacte avec lequel il vous a engagés lorsque vous dîtes : nous avons entendu et nous avons obéi ».
Un second rappel (est celui de la S. 33, 72) le dépôt (de la foi) (Amâna). Il est dit : « En vérité nous avons proposé le dépôt (de la foi) aux cieux, à la terre et aux montagnes. Mais ils ont refusé de le porter par crainte. Cependant l’homme s’en est chargé, car il est injuste et ignorant ! »
En conséquence de cet engagement accepté et de sa foi responsable, l’homme est instauré, vicaire de Dieu (II-30) : « Dieu confia aux anges : Je vais établir sur terre un vicaire » , puis Il l’informa de la science des noms de toutes les choses créées par Dieu.
Ainsi pour le musulman l’être humain n’est qu’un atome créé dans l’univers, mais Dieu a créé tout l’univers afin que l’homme puisse le connaître et y contempler Sa puissance créatrice.
Qui est Dieu ? « Lumière sur Lumière… » (Coran 24-35).
« Allah est la Lumière des cieux et de la terre. Sa lumière est semblable à une loge où se trouve une lampe. La lampe est dans un cristal qui ressemble à un astre resplendissant ; son combustible vient d’un arbre béni, un olivier qui n’est ni d’orient ni d’occident, dont l’huile semble éclairer sans même qu’un feu la touche. Lumière sur Lumière Allah guide vers Sa lumière qui Il veut. Allah propose aux hommes des paraboles. Allah est omniscient ».
In fine cet univers en expansion disparaîtra : Alors dit le Coran : « Tout ce qui est sur terre s’anéantira et ne subsistera que le visage de ton Seigneur, plein de majesté et de magnanimité ».
Le croyant est en effet appelé à sortir des faux problèmes philosophiques et de la ratiocination sur la transcendance, l’immanence ou la raison causale pour s’en remettre à Dieu dans la foi en son mystère irrévélé¹ (II-1) (1). Cet irrévélé est l’exacte distance irréductible à la connaissance des choses divines. Nos sens, pour la mystique musulmane, sont trop limités pour la connaissance infinie. Al-Ghazali définit cette connaissance en deux groupes : la connaissance rationnelle déduite de nos facultés intellectuelles et de notre observation (Ilm Al Maksub) et la connaissance révélée, nécessaire à l’approche du divin (Ilm al Mawhub) et sans laquelle l’être humain ne peut s’élever par sa seule intelligence au mystère de Dieu.
Le Coran (22-14 et 114) donne deux précisions importantes :
Le 1er verset indique : « Moi je suis Allah, point de divinité si ce n’est Moi »
Le verset 114 montre que ce mystère du « Je » (Anâ) est « Al-Haqq » : la Vérité absolue.
Ainsi Lumière sur Lumière, vérité des vérités Dieu révèle de Lui et de Sa Science ce qu’Il veut et accorde Sa grâce à qui Il veut. Dans l’Islam la Walâya lie certains hommes à Dieu et leur confère le statut d’élus de Dieu. Les Prophètes, les grands sages, les mystiques aspirent à cette élection.
Elie entendit Dieu au Mont Horeb dans une prise de conscience tout à fait extraordinaire. Moïse reçut Sa parole durant 40 jours au Mont Sinaï, en devenant dépositaire de la Loi. Jésus dans l’Islam rappela cette Loi ainsi que la miséricorde de Dieu qui seule peut sauver l’humanité dans un rapport d’amour, d’obéissance et de charité. Mohamed (SAWS) par tout son être, reçut avec crainte le message à transmettre, dont l’original se trouve éternellement déposé dans des tables gardées (Allawh Al- Mahfoudh).
Dans son voyage nocturne (Al Isra wal Mi’raj, Coran Sourate XVII), le Prophète de l’Islam eût le privilège de connaître successivement la Mosquée extrême (Al Aqsa) et puis de gravir les divers degrés célestes qui pouvaient le rapprocher de Dieu sans pouvoir dépasser le lotus de la limite. Le Coran précise qu’il en était même à seulement deux portées d’arc, ou plus près (123-9). « Sa vue n’a nullement dévié ni outrepassé la mesure, et des signes de son Seigneur il vit les plus sublimes » (53-18).
¹ Coran : « Voici le Livre sur lequel il n’y a point de doute pour les pieux, qui croient en l’irrévélé… »
De ce point de vue, même le stade de Nabi (Prophète) et de Rassûl (Envoyé) ne permet pas aux fils d’Adam d’approcher de la connaissance divine au-delà d’une certaine limite. Lorsque Moïse demanda à Dieu de se montrer à lui, le choc fut si brutal qu’il perdit connaissance. Il n’est donc pas possible de voir Dieu par nos sens humains approximatifs et fragiles. C’est pourquoi les mystiques et à leur tête Al-Ghazali propose une voie (Tarîqa) qui permettrait de voir la vérité en nous-mêmes (parabole du miroir). Il s’appuie sur le verset coranique qui dit : « Et Nous leur montrerons Nos signes dans les horizons et en eux-mêmes jusqu’à ce que leur apparaisse l’évidence de la vérité » . C’est le lever du voile de la connaissance vraie si chère aux soufis et qui justifie la voie initiatique et le renoncement de tout ce qui ne rappelle pas Dieu.
A ce propos le célèbre mystique (soufi) musulman du 1er siècle de l’hégire, Hassan al Bassri, écrit :
« C’est dans ces conditions se découvrira peu à peu l’horizon d’abord indécis, puis de plus en plus clair de la mâarifa (connaissance suprême). Les notions de lignes et de formes se réduiront à des points servant de signes dans une distorsion infinie de l’espace et du temps. La prière sera la clé du mystère ».
La vie intérieure du musulman consiste donc à évoquer le plus souvent possible Dieu dans ses attributs et son éternité en une mémoration constante (Dhikr) qui se conforme au verset coranique de la S. II-152 : « Souvenez-vous de Moi, Je me souviendrai de vous et soyez reconnaissant envers Moi, sans être jamais ingrats ».
On le voit la vie du musulman consiste à vivre en permanence en pensée et en actes avec Dieu, qui est plus près de nous que notre veine jugulaire et qui si nous ne Le voyons pas, Lui nous voit. (Coran 50-16).
Dans cette perspective nullement abstraite du rapport à Dieu la religion, le Coran « relient » l’Homme à son Seigneur dans une extraordinaire disposition d’adoration venue du tréfonds humain que le Coran (VI- 161– 162) exprime ainsi :
« Dis, Mon Seigneur m’a guidé sur un chemin droit et une religion droite, la religion d’Abraham vrai croyant qui n’était pas du nombre des Associateurs. Dis : ma prière, mon adoration, ma vie, ma mort sont à Dieu, Seigneur de l’Univers… » Cet amour de Dieu est axial dans la vie du croyant ; Il est force, élan, nostalgie, état second et réceptivité de lumières fascinantes.
Cette vie avec Dieu ne peut être réduite au concept d’âge théologique selon Auguste Comte. La causalité n’est pas la seule disposition que le croyant reconnaît dans l’enchaînement des causes et des effets. Ceux-ci appartiennent à la science positive mais ne remettent pas en cause le mystère de l ‘âme, le devenir de l’homme et le sens de sa vie où raison et logique sont bien souvent déroutées. Dieu est au centre de ces mystères et qu’on le veuille ou non, la vie spirituelle de l’homme restera tributaire de sa foi en Dieu. Et l’Univers sera pour le croyant un champ de lumières et de signes.
Dr. Dalil BOUBAKEUR : Recteur de l’Institut Musulman de la Mosquée de Paris