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La symbolique du Sinaï ou l’épreuve de la montagne

La théophanie (1) survenue à Moïse dans le Sinaï pendant que le peuple attendait en bas de la montagne, est largement relatée dans le Coran. Si Moïse est cité par son nom ou indirectement par un pronom plus de 136 fois dans le Coran, certains comme A. Chouraqui n’hésitent pas à trouver près de 500 allusions coraniques au grand Prophète, que Muhammad (SAWS) appelait : « mon frère Mûsa » .

L’événement du Mont Sinaï de même que l’Exode où la traversée du Désert sont minutieusement décrits et rappelés dans de nombreux versets du texte sacré. Le Mont Sinaï (at Tur, et Tur Sinîna) est même le titre de la Sourate 52, en raison du 1° verset qui est un serment prenant à témoin le Sinaï : « Par le Mont et le Livre tracé sur un parchemin déployé… »

Dans la Sourate 95, V.2, même serment prenant à témoin le figuier, l’olivier et le Mont Sinaï. D’autres versets : VII-43, XXX-20, XXIII-120, II-60, II-93, XX-12, XXVIII-38-29-44 et 46, XLII-59 etc… familiarisent le croyant musulman avec ce haut lieu de rencontre avec Dieu où Moïse rapporta une Loi en même temps que fût rappelé aux hommes leur engagement

(ou pacte préexistentiel) avec Dieu : le Mithâq, sur lequel nous reviendrons. Il est dit en effet en IV-153 (Sourate an Nisa, les femmes) :

« Nous élevâmes au dessus d’eux le Mont (Sinaï) pour obtenir leur engagement… »

La Sourate XXVIII, le Récit, est largement consacrée à la vie de Moïse, à son recueil des eaux du Nil, à son séjour chez Pharaon, à son ministère, à l’homicide de l’Egyptien puis à sa fuite dans le désert suivi de son retour vers Pharaon sur l’ordre de Dieu.

La Sourate XX (Taha) reprend le dialogue au cours duquel Pharaon pose la question à Aron et à Moïse venus l’exhorter à libérer le peuple d’Israël, au nom de Dieu. V.49 « Mais quel est votre Dieu ? »

En effet qui est ce Dieu, quel est son nom ineffable et sacré qui va se révéler après la théophanie du Buisson ardent de Tuwa à la théophanie du Sinaï   ?

*1 Théophanie : manifestation du Divin sous une forme sensible.

THEOPHANIE – ASCENSION

« La théophanie sur le Sinaï réfère à la mission prophétique de Moïse ; la théophanie sur le mont Sair réfère à celle de Jésus. La Théophanie sur le mont Pharan réfère à la mission prophétique de Mohammed » H. Corbin, Harmonia   Abrahamica.

Coran IV – 153 (an Nisa) :

« Nous élevâmes au dessus d’eux le Mont (Sinaï) pour obtenir leur engagement… »

Dans l’Exode (XXXI-18) il est dit : « Les deux Tables du Témoignage, les Tables de pierre écrites du doigt de Dieu – » furent remises à Moïse sur le Mont Sinaï où, Moïse « vit la Schekina, parla avec elle face à face et reçut la Thora au milieu des flammes de feu, de la droite et de la gauche du Saint et écrivit trois cent seize commandements et les apprit aux Israélites » .

Gravissant le Sinaï, Moïse indique qu’il monta au ciel et vit la Schekina. Cette ascension de la montagne afin d’y rencontrer Dieu a tout d’une symbolique physique et spirituelle seule capable de rendre possible un tel événement.

Cette recherche d’élévation vers les sommets du silence a paru essentielle tout au long de l’histoire des hommes pour approcher le Divin, et la conception du Dieu suprême a conduit l’humanité à le rechercher dans le ciel et – a minima – sur les cimes des montagnes : l’Olympe, séjour de Zeus, les montagnes d’Afrique, d’Europe ou d’Asie sont peuplées de divinités mythologiques comme Wotan etc.

Le mythe et les rites d’ascension s’inscrivent bien souvent comme le constate Mircea Eliade dans des pratiques initiatiques qu’on retrouve même dans des conceptions mystiques ou chrétiennes très spiritualisées. Jean de la Croix par exemple représente la perfection mystique par une « subida del monte carmelo » en illustrant son traité par une montagne aux ascensions longues et fastidieuses (Mircea Eliade (Traité d’Histoire des Religions p. 98).

Les Pharaons élevèrent des pyramides et des Ziggourates sur les rives désespérément plates du Nil dans le Coran l’élévation des montagnes est l’oeuvre et en même temps un témoignage de la puissance de Dieu. Leur aplatissement, leur ébranlement, enfin leur dispersion « comme des flocons de laine cardée » annoncera la fin des temps (Sourate 101…).

MOISE (MÛSA), ABRAHAM élévation et soumission

L’apostolat de Moïse est aujourd’hui estimé à une date qui se place entre 1415 et 1240 avant J.C. et s’insère dans une phase où la religion pharaonique sous le règne d’Aménophis IV après Aménophis II (-1450 av. J.C.) est en voie de proclamation de l’unicité de Dieu Rê, d’Amon Râ, Osiris etc.

« Salut à toi ô Rê, Maître du temps éternel, ô l’Unique, régne du temps infini, venu le premier à l’existence, sans second, toi qui a soulevé le ciel et établi la terre… »

(Stèle de Touthmosis, vers – 1580 av. J.C. cité par Claire Lalouette : Sagesse sémitique Albin Michel p. 77)

Et le Pharaon de Moïse : Ramsès II mais plus vraisemblablement Meneptah, son successeur dans la XIXème dynastie (XIV° siècle avant J.C.) fît ériger une tour capable de le faire monter jusqu’à ce Dieu inconnu et inaccessible au monde terrestre de l’Egypte ancienne. Coran 28.38 : « Et Pharaon dit : « O notables, je ne connais pas de divinité pour vous autre que moi. Ô Hâmân, allume-moi du feu sur l’argile puis construis-moi une Tour peut-être alors monterai-je jusqu’au Dieu de Moïse. Je pense plutôt qu’il est du nombre des menteurs » . Depuis Aménophis IV (Akhenaton) le concept monothéiste (trait caractéristique des religions sémitiques) n’était pas tout à fait inconnu dans les temps pharaoniques. Et si on a pu parler d’un préjudaïsme d’origine égyptienne il n’est pas exclu que mille ans avant Moïse, Abraham ait été au contact de conceptions semblables d’origine mésopotamienne (voir Claire Lalouette). Mais le patriarche Abraham est le premier « soumis » (autrement dit « muslim » en arabe), au Dieu Unique. Coran : « C’est Lui qui vous a nommés musulmans » . Cette mutation de la croyance du monde s’opère comme pour Moïse avec les mêmes difficultés et les mêmes incompréhensions avec ses contemporains. Jésus puis Muhammad (SAWS) connaîtront aussi la méchanceté des hommes et la persécution.

Notons que la Tour de Babel fût aussi élevée par NEMROD afin d’escalader le ciel. Yahvé dans son courroux, mit la confusion dans les langues afin que les hommes ne se comprennent plus. (Génèse) et la Tour devint lieu d’errance et de perdition.

Cette dispersion est cependant considérée comme un bienfait par F. Mary : Dieu multiplie son message en cent langages divers, afin de sortir l’humanité de l’idolâtrie.

Le Coran rappelle, dans la sourate XXI versets 58 et suivants le risque encouru par Abraham dans sa destruction des idoles et sa proclamation du Dieu Unique : « Il les mit en pièces, hormis (la statue) la plus grande. Peut-être qu’ils reviendront vers elle… »

Coran, S. XXI-66 Les Prophètes : V. 66 et suivants :

… « Abraham clama : Eh quoi adorerez vous en dehors de Dieu ce qui ne saurait en rien vous être utile ni vous-même non plus ?… Ne raisonnez vous donc point   ?

– Brûlez-le ! s’écrièrent (les idolâtres)…

Ils voulurent user de perfidie mais nous fîmes d’eux les plus grands perdants » .

« Nous le sauvâmes, ainsi que Loth, en le dirigeant vers une terre que nous avions bénie pour les mondes, et lui donnâmes comme faveur supplémentaire Isaac et Jacob et de chacun d’eux Nous fîmes un Saint » .

La soumission à l’Unique est depuis Abraham le critère d’élévation de l’homme alors qu’il régressait par son ignorance devant les idoles de la mythologie.

Laissons-là Abraham et cette première tentation du roi Babylonien de monter jusqu’au ciel pour y rencontrer Dieu non pas par la foi, mais par défi de la montagne.

Avec Moïse cette ascension ne se fait pas à grand renfort d’architectes, de peuples et de nations mais en solitaire. Seul avec Dieu, seul, mais riche de sa conscience de l’extraordinaire événement qu’il allait vivre, réservé seulement à quelques élus choisis par Dieu, comme annonciateurs et messagers mais aussi parvenus dans leur cursus mystique à l’état nécessaire « d’hommes parfaits » ou de Prophètes pour recevoir la théophanie.

Avec Elie, Moïse, Jésus, Mohammed, l’accueil transformant du message divin fait de chaque étape de ce message et de chaque « communication » de ce message un moment décisif de profonde mutation du monde et de son histoire.

La présentation de Moïse au Sinaï est ainsi décrite dans le Coran. VII 143 Al A’raf :

« Et lorsque Moïse se présenta au moment que Nous lui avions fixé et que son Seigneur lui eût parlé, il dit : Seigneur permets moi de te contempler ! – Tu ne me verras pas, lui dit le Seigneur, mais regarde le Mont, s’il reste immobile alors tu me verras ! »

Mais lorsque son Seigneur se manifesta sur le Mont (Sinaï), Il le pulvérisa et Moïse tomba foudroyé. A son réveil il s’écria gloire à Toi je me repens devant Toi, et suis le premier des croyants ! »

Le Coran retient l’impossibilité absolue pour Moïse, Prophète et Envoyé, de voir directement Dieu. En tout cas la condition humaine ne permet pas de transcender le transcendant.

Mais le Dieu Unique de Moïse d’Abraham et des Patriarches n’est pas inaccessible ou cosmique, comme celui des cananéens qui adoraient en « El » le Dieu Suprême mais lointain exigeant des sacrifices sur les autels de Sichem, de Bethel ou de Mambré.

Le Dieu de Moïse, « Dieu de ses Pères » va susciter la foi unificative de son peuple et, reprenant la tradition du Dieu Egyptien enseigner la manière de se conduire avec son prochain.

Tu feras… Tu ne feras point. Le principe du bien et du mal n’ont plus seulement valeur d’un antagonisme utilitaire mais d’une règle morale « pour Dieu » . Dieu protecteur de la personne, devient dans les prescriptions (Décalogue) transmises à Moïse sur la Montagne, le juge suprême d’une Loi et d’une Foi qui a pour fondements une morale purifiée. Cette morale a pour déontologie les droits et devoirs de la personne vis à vis d’elle même, vis à vis d’autrui, et vis à vis de Dieu.

Dans la tradition rabbinique Moïse est appelé : « Notre Maître Moïse » « Mosheh rabbenû » , car sa montée au Sinaï est la démonstration magistrale que les humains sont capables d’accomplir les commandements de la Thorah, contrairement à ce qu’en pensaient les Anges qui avaient manifesté leur hostilité. Maître, il l’était du fait que durant le temps du séjour au Sinaï, Moïse était instruit par Dieu durant le jour, et méditait durant la nuit. Il transmit l’Alliance mais aussi la Thora, le Talmud et l’ensemble de l’enseignement rabbinique. Grand Prêtre et en même temps Roi d’Israël pendant toute la traversée du désert, il n’entrera pas dans la Terre Promise, léguant ainsi à son peuple la divine responsabilité de son avenir puisque la sacerdoce allait échoir à Aaron et la royauté à David.

JESUS-CHRIST

L’autre tradition où l’on retrouve Moïse dans la symbolique du Sinaï, est l’Evangile de Jean (I,17) qui évoque le don de la Loi par Moïse comme préparation à la venue de la grâce et de la vérité en Jésus : « Car la Loi fut donnée par l’intermédiaire de Moïse ; la grâce et la vérité nous sont venues par Jésus Christ ».

Dans Jean (5, 46) c’est Jésus qui s’adresse aux Pharisiens rappelant que la juste intelligence de la Loi devrait les conduire à lui : « Si vous aviez cru en Moïse, vous croiriez en moi car c’est à mon sujet qu’il a écrit » .

Par ce rappel Jésus surprend les hommes en défaut de fidélité aux Ecritures comme la Révélation coranique surprendra les polythéistes en flagrant infidélité (Kufr en arabe) au message des Envoyés antérieurs à l’Islam. Jésus comme Moïse, a toute sa place dans le crédo du musulman.

A la transfiguration, selon les synoptiques, Moïse et Elie apparaissent aux côtés de Jésus, tandis que la théophanie concernant Jésus se produit, transfiguration relatée dans les Evangiles de Marc (9, 7) de Mathieu (16, 10) de Luc (9, 28). Nous reviendrons sur cet événement considérable de la christologie, mais reprenons la formule du Professeur Henry Corbin citée en exergue de ce travail.

Auparavant il nous faut replacer la citation, dans son contexte de l’Harmonia Abrahamica. Le célèbre orientaliste la livre en conclusion d’une étude sur le théologien philosophe Iranien du XVII° : Sayyed Ahmed ‘Alavi Ispahani qui écrivait : « Le Seigneur est venu du Sinaï ; il s’est levé à Seïr, il a paru sur le Mont Pharan et les Saintes Myriades (Les Myriades angéliques) étaient avec Lui. Il portait avec Lui en sa droite la Loi de Feu… » . H. Corbin indique tout l’intérêt d’avoir rassemblé les 3 théophanies majeures du monothéisme abrahamique et mis en perspective la Révélation telle que la situe l’Islam comme un continuum d’une même lumière. Le rappel d’un même message.

Le Mont Seïr ici invoqué est le Mont Thabor où Jésus reçut l’illumination de la Transfiguration. Le Mont Pharan est le site de la grotte de Hîra où le Prophète de l’Islam (SAWS) reçut dans un éblouissement l’ordre de prêcher l’Annonce qui lui est faite.

Par ailleurs le Chiisme considérant cette théophanie comme une Lumière de Dieu, l’étend à tout la descendance élue (Chi’a) du Prophète de l’Islam à travers ‘Ali jusqu’au Mahdi ou 12° imam dans le Chiisme duodécimain.

EBIONISTES

A ce point de notre exposé il semble utile de rappeler le grand nombre de travaux né des découvertes de la bibliothèque gnostique de Nag Hammadi, et de celles des « rouleaux de la mer morte » qui jetèrent de nouvelles lumières sur les communautés Esseniennes de Qumran.

Henry Corbin indique qu’une bibliographie de plus de cinq mille titres a exploré les origines du judéo-christianisme, qu’une étude moderne des religions ne peut passer sous silence aujourd’hui.

Notre auteur, à la suite de nombre de recherches dont celles de H.J. Schoeps (Théologie Und Geschichte des judenchristentum) indique qu’à la manière d’un paradoxe dont l’ampleur est à la dimension de l’histoire mondiale, le judéo-christianisme a disparu dans l’église chrétienne, mais s’est en revanche conservé dans l’Islam.

C’est à Jacques le Juste « le frère du Seigneur » , évêque de la chrétienté d’alors à Jérusalem, qu’on peut rattacher les origines du judéo-christianisme qui se prolongea dans l’Ebionisme. Celui-ci prit quelques distances à l’égard de l’enseignement de Paul dans une attitude « de rejet de l’apôtre Paul en l’appelant apostat par rapport à la Loi. » dit Yrénée (Adv. Haer 1,26). Quelle Loi ? Celle de Moïse bien sûr ; celle qui respecte le Sabbat, les rites, les interdits de la Thorah, du Talmud et de la Tradition.

Dans l’article que leur consacre le Dictionnaire des religions édité par Monseigneur Paul Poupard (P.U.F. 1985), K. Hruby indique que la dénomination « d’Ebionite » du grec Ebion =Pauvre vient de cette pauvreté qu’ils s’appliquèrent eux-mêmes dans le sens que lui donne le Christ dans « le sermon sur la montagne… » (Mat. 5-3).

Il est intéressant de remarquer que dans la christologie ébionite, Jésus de Nazareth « est le Saddiq, le juste, adopté et consacré comme Christos lors de son baptême. Il s’est transfiguré en la figure céleste et visionnaire du « fils de l’Homme » , qu’il manifestera lors de sa Parousie, laquelle sera l’acte final de la Rédemption » . Henry Corbin qui a écrit ces lignes, y établit un parallèle avec l’attente eschatologique du douzième imâm le Mahdi, dans le chiisme duodécimain.

C’est dire que la transfiguration est retardée à la parousie christique attendue dans l’Islam pour la fin des temps, mais qu’elle est acquise dans le Nouveau Testament.

On sait que l’eschatologie islamique réside dans l’attente du Christ de seconde venue. Selon une Tradition d’Al Bûkhari, le Prophète de l’Islam a dit : « J’en jure par celui qui détient mon âme, il arrivera très promptement que le fils de Marie descendra parmi vous comme un arbitre équitable… » Dans l’Islam Jésus n’est pas mort crucifié par les hommes mais élevé par Dieu jusqu’à son retour glorieux : la Parousie – Dans le Chiisme, c’est « l’attendu » , Al Muntazer.

LA TRANSFIGURATION Mc9 2-8, Le 9 28-36.

La transfiguration de Jésus au Mont Thabor est ainsi exprimée dans les synoptiques Mat. 17 :

« Six jours après, Jésus prend avec lui Pierre, Jacques, et Jean son frère et les emmène à l’écart, sur une haute montagne. Et il fut transfiguré devant eux : son visage resplendit comme le soleil, et ses vêtements devinrent éblouissants comme la lumière » .

« Et voici que leur apparurent Moïse et Elie, qui s’entretenaient avec lui. Pierre alors, prenant la parole, dit à Jésus :

« Seigneur, il est heureux que nous soyons ici ; si tu veux, je vais faire ici trois tentes, une pour toi, une pour Moïse et une pour Elie » .

« Comme il parlait encore, voici qu’une nuée lumineuse les prit sous son ombre, et voici qu’une voix disait de la nuée :

« Celui-ci est mon Fils bien-aimé, qui a toute ma faveur ; écoutez-le » .

« A cette voix les disciples tombèrent la face contre terre, tout effrayés. Mais Jésus, s’approchant, les toucha et leur dit :

« Relevez-vous, et n’ayez pas peur. » Et eux, levant les yeux, ne virent plus personne que lui, Jésus, seul » .

Les ébionites judéo-chrétiens si proches de la Loi de MoIse ne retiennent (Irénée, Epiphane) parmi les Evangiles qu’un seul texte « l’Evangile de Mathieu » ou, selon Eusèbe, « l’Evangile des Hébreux » .

De ces textes considérés par l’Eglise comme apocryphes du Nouveau Testament la thèse retenue par l’Islam est que Jésus en route vers Jérusalem s’éloigne du désert de l’autre côté du Jourdain et sen va au Mont Thabor avec Pierre, Jacques son frère et Mathias. Mais la voix disait dans la nuée « celui-ci est mon serviteur » . On ne peut que rapprocher le verset 30 de la Sourate XIX (Marie) : où l’enfant Jésus dit : « Je suis vraiment le Serviteur de Dieu » .

L’attitude de l’Islam n’est donc pas sans référence aux premiers Enseignements des Eglises primitives, les uns retenus, les autres rejetés comme apocryphes mais qui n’ont pas été sans suite dans l’histoire des religions d’Orient.

UN DIEU UNIQUE ET MORAL

Cet Orient sémitique qui a transmis à toute l’humanité, et avec une constance impressionnante l’annonce inouïe du Dieu Unique comme l’écrit Renan dans son Histoire du Peuple d’Israël : « le monothéisme dans le monde a été l’œuvre de l’apostolat sémitique en ce sens qu’avant l’action et en dehors de l’action du judaïsme, du Christianisme et de l’Islamisme (sic), le culte du Dieu Unique et Suprême n’arriva point à se formuler nettement pour la foule. Or ces trois grands mouvements religieux sont trois faits sémitiques, trois rameaux du même tronc, trois traductions (…) de la même idée.

« Il n’y a que quelques lieues de Jérusalem au Sinaï et du Sinaï à la Mecque » . fin de citation : Renan ; Histoire du Peuple d’Israël p. 77.

Citant le Psaume XV notre auteur, dans une magnifique envolée reprend la question de la nouvelle acception de ce Dieu annoncé par les prophètes et à la question posée : « qui mérite d’habiter dans la montagne sacrée ? »

C’est Dieu qui répond : « que m’importe la multitude de vos sacrifices, je suis écœuré de la fumée des béliers, de la graisse de veaux, le sang des taureaux, des agneaux et des boucs, je n’en veux plus… Je n’écoute pas vos prières car vos mains sont pleines de sang. Lavez-vous d’abord, purifiez-vous et cessez de faire le mal, cherchez la justice, défendez la veuve, faites droit à l’orphelin… »

Ainsi avec le Dieu Unique l’idolâtrie utilitaire est rejetée et la morale entre dans la religion.

« La religion est devenue la morale. L’essentiel n’est plus le sacrifice matériel, c’est une disposition du coeur, l’honnêteté de l’âme qui est le véritable culte… Ces paroles sont de 725 ans avant J.C… » cité p.p 125 Renan.

Ainsi la révélation morale et féconde du Dieu Unique par les sémites est fondatrice de religions à l’idéal élevé, infiniment plus désintéressé que les idolâtries et mythologies des civilisations matérielles et à l’anthropomorphisme outrancier.

Le recueil de la parole Divine par les Prophètes sémites a bouleversé le monde. La Théophanie Abrahamique illumine la Mésopotamie, celle de Moïse au Mont Sinaï amène les hommes à l’Histoire du monde avec Dieu. Avec Elie au Mont Horeb l’initiation de ce prophète lui-même initiateur de Moïse sous le vocable arabe d’Al Khidr, vivifie une certaine tradition de la connaissance initiée des Prophètes et des « Hommes Parfaits » qu’on retrouve chez Ibn Arabi (Insan al Kamil). C’est l’irruption dans le monde sensible de la dokêma, la perception théophanique, particulièrement en Elie sur la Montagne est une vision totalisante, comme dit Corbin ; elle est connaissance pour une âme devenue miroir (spéculum en latin : d’où nos concepts dits « spéculatifs » ). « Eum talem visi qualem capere potui » cite l’auteur : je l’ai vu tel que j’avais la capacité de le saisir. Il ne s’agit pas d’hallucinations ni d’imagination mais d’une perception d’un autre ordre. Elie eût le privilège d’y parvenir et « dans le sillage d’Elie et d’Elisée les moines sont identifiés avec les prophètes du Mont Carmel. L’ordre des Carmes fait remonter ses origines jusqu’à Elie du Mont Carmel » .

L’Elianisme mystique fait des adeptes secrets de l’ordre d’Elie les purs et « vrais pharisiens » , Abrahamiens sincères, hanifs, identifiés comme « Prophètes du Mont Carmel » . Ils sont à l’origine des Nézirim, des Rékabites et des Esséniens. Elie est le « Père des Esséniens » , :

« Elia, Pater Essenorum » H. Corbin (Harmonia Abrahamica).

L’Islam retient chez les moines cette aptitude à discerner la vérité et même de l’annoncer. Coran VII, 159 : « Il y a parmi le peuple de Moïse une communauté qui se dirige et juge selon la vérité » .

N’est-ce pas le moine Nestorien Bahira qui, à Boçra en Damascène reconnut dans l’enfant Muhammad le signe de la Prophétie ?

Coran V – 82 :

« Tu trouveras en vérité que ceux qui sont les plus proches des croyants par l’amitié sont ceux qui disent « nous sommes chrétiens » . C’est qu’il y a parmi eux des prêtres et des moines qui ne s’enflent point d’orgueil… »

Coran V-69 :

« Quant à ceux qui ont la foi, ceux qui pratiquent le judaïsme, les sabéens, les chrétiens, quiconque croit en Dieu au jour dernier et font le bien, ils n’ont rien à craindre et ne seront pas affligés » .

Parmi ces chrétiens c’est Waraqa Ibn Nawfel, cousin de Khadidja l’épouse de Muhammad (SAWS) qui confortera et confirmera le Prophète dans sa mission d’Envoyé de Dieu lorsque celui-ci recevra la première Révélation dans la grotte du Mont Hîra près de la Mecque en 610.

C’est au cours de la 26° nuit du mois de Ramadhan, Nuit grandiose bénie plus que mille mois, dite Nuit de la Destinée que Muhammad (SAWS), reçoit la Révélation sous la forme d’une injonction intimée par un être surnaturel qui ordonne :

« Lis de par le Nom de ton Seigneur qui a crée Qui a crée l’homme d’un jointif

Lis ! Et ton Seigneur très généreux

Est celui qui a instruit l’homme avec la plume il a instruit l’homme de ce qu’il ignorait… »

Dans ses chroniques, At Tabari relate la suite de cet évènement : Khadidja reçoit le Prophète grelottant et répétant plusieurs fois le verset révélé : « Lis de par le Nom de ton Seigneur… » Elle questionne son époux avec douceur le réconforte et après l’avoir couvert d’un manteau va elle-même consulter Waraqa.

Celui-ci âgé, aveugle (il mourra en 612 ou 613) est un chrétien sincère, connaissant les anciennes Ecritures. Sous la qualification de « Chrétien » il s’agit plutôt d’un adepte de l’Eglise primitive qui a adopté le Nestorianisme arabe et peut être considéré comme Hanîf, c’est à dire un adepte de la religion originelle monothéiste, dans l’exemplarité   d’Abraham.

Notons que le Nestorianisme, condamné en 431 au Concile d’Ephèse, est une résurgence de l’Ebionisme que nous avons signalé plus haut.

C’est Waraqa qui, ému et exalté par le récit que lui fait Khadidja de la vision de Muhammad, proclame à Khadidja (Tabari, chroniques II,393) « Gabriel est le Nâmus suprême, l’ange intermédiaire entre Dieu et les prophètes, qui leur apporte les messages de Dieu. C’est lui qui est venu trouver Moïse, ainsi que Jésus ; et, si ce que tu racontes est vrai, Muhammad (SAWS) ton mari est le prophète qui doit être suscité à la Mekke, au milieu des Arabes et dont il est fait mention dans les Ecritures » . (Chronique, II 393-394).

Waraqa disant cela indique le sens profond du message reçu et de la mission du Messager : recevant le Nomos, la Loi (Nâmus en Arabe) il est dans la même situation que Moïse recevant la Loi sur le Mont Sinaï et que lui-même Waraqa attendait cet ordre pour le Messager annoncé dans les Ecritures. Moïse ne dit-il pas (Deutéronome 18/15) :

« Le Seigneur ton Dieu suscitera d’au milieu de toi, d’entre tes frères (fils d’Ismaïl) un Prophète comme moi (Moïse)… » ?

Par ailleurs dans l’Evangile de Jean (14-26) Jésus lui-même n’annonce-t-il pas le Paraclet en ces termes « Mais le Paraclet, l’Esprit saint que le Père enverra en mon nom vous enseignera tout et vous rappellera tout ce que je vous ai dit… » ce même Paraclet est annoncé en 15-26, 16-7, 16-13).

L’interprétation de ces versets et le sens attribué au Paraclet a fait naturellement couler beaucoup d’encre aux exégètes tant musulmans que chrétiens.

Pour les uns Muhammad = Ahmad = le loué, glorifié et Paraclet se lit alors pour les uns Perikleitos = le très illustre, le glorieux mais pour les autres c’est Parakletos : l’intercesseur, celui qu’on invoque – Nous ne raviverons pas la controverse du Paraclet (al Bara-qlît en arabe).

Laissons cette discussion en remarquant simplement que dans l’esprit des judéo-chrétiens d’Orient et de Waraqa, l’annoncé, le Loué était bien entendu en Ahmad donc en Muhammad ceci nous replonge en tout cas dans l’univers mental de ces doux Honafa’ (pluriel de Hanîf) abrahamiques convaincus dans leur attente messianique conforme aux Ecritures de leur point de vue.

La Révélation coranique s’accompagne d’une splendeur illuminative de Muhammad (SAWS) chère à l’Islam chiite qui attribue aux « lumières Mohammadiennes » (Nûr Muhammadî) des bénédictions qui vont s’étendre jusqu’au Mahdî, le 12ème Imam attendu (al Muntazer).

Dans le Coran, le Prophète Muhammad (SAWS) est cité dans un très beau verset : Sourate 33 (Les Coalisés) V. 45 et 46 : « ô Prophète nous t’avons envoyé pour être témoin, annonciateur, avertisseur… et comme un flambeau resplendissant (siraj munir).

Sourate 21 – V. 107 : « Nous ne t’avons envoyé qu’à titre de Miséricorde pour les mondes… » et dans la sourate 9.V. 128 : « Un Messager issu de vous est venu vers vous » .

La conception illuminative des « Lumières Muhammadiennes » furent élaborées dans le Soufisme de Sohrawardi autour du Prophète de l’Islam. Elles ont pour origine, outre le Coran, un Hadîth (parole du Prophète) qui fait dire à celui-ci : « La première chose que Dieu a créée a été ma Lumière… »

LUMIERE SUR LUMIERE

La théophanie en Islam établit que la Révélation de Dieu à l’homme se manifeste par différents modes :

  • la révélation extérieure (wahy Dhahir) par l’intermédiaire de l’Archange Gabriel,
  • la révélation intérieure (wahy bâtin) par infusion et communication intérieure directe dans l’homme (cas d’Elie, de Muhammad, des Soufis,
  • par songe (ru’ya) durant le sommeil du Prophète.

Ces révélations sur la Montagne, ces théophanies du Sinaï, du Mont Horeb, du Mont Thabor ou du Djebel Hîra sont concordantes en ce sens qu’elles manifestent la lumière divine dans l’obscurité de la condition humaine et la miséricorde compatissante du créateur à l’égard des désarrois et des souffrances de ses créatures en tribulation dans ce monde.

Déjà dans l’antiquité, l’Hélios éclairant le monde physique participait du Bien répandu par la puissance du Dieu Suprême.

Dans l’Islam, la lumière n’est pas Dieu lui-même, qui n’a pas de qualité ni d’essence connaissable « en soi » . Pour Ibn Sina (Avicenne) et Al Ghazali cette lumière (Nûr) reçue par l’âme humaine est de même nature qu’elle. C’est le noos, le miroir ou spéculum récipiendiaire de la connaissance. La théologie illuminative de l’Islam est cette transmission de la lumière aux Prophètes : Moïse, Elie, Jésus, Muhammad reçoivent des paroles illuminantes, transfigurantes.

Dans le Coran Dieu est la Lumière des Lumières « Allah est la Lumière des Cieux et de la Terre. Sa Lumière est semblable à une niche où se trouve une lampe. La lampe est dans un cristal qui est comme un astre étincelant. Elle brûle d’un arbre béni, un olivier qui n’est ni d’Orient ni d’Occident dont l’huile brillerait sans qu’un feu la touche ou peut s’en faut. Lumière sur Lumière Dieu dirige vers sa Lumière qui Il veut… » S. XXIV, V. 35.

Pour les commentateurs classiques (Ibn Kathir, ar Râzî et Tabari) cette lumière est la foi qui est accueillie dans une réceptacle approprié (la niche) dans le cœur du croyant (le cristal étincelant).

Les mystiques de l’Islam et Suhrawardi en particulier voient dans l’expression « lumière sur lumière » transposée parfois en « lumière de la lumière » une signification spirituelle fondée sur la vision intérieure de l’expérience mystique.

Cette perception intérieure, cette vision intérieure, exprime à merveille les limites de notre sensorialité dès qu’il s’agit de la transcendance.

La théophanie d’Elie sur l’Horeb est exprimée en des termes sybillins que des ouvrages entiers ne parviendront pas à rendre tout à fait clairs M. Masson (Elie ou l’appel du silence) rapporte ainsi :

Fuyant Jézabel, Elie se rend seul sur la montagne sacrée, un vent très fort secoue les montagnes ; après le vent, un tremblement de terre puis le feu et après le feu, dit le texte hebreu (1R 19) « qol demama daqqa » : il entendit le son d’un silence… Ce son d’un silence exprime dans son paradoxe la difficulté de rendre en termes humains la perception ultra sensorielle du verbe divin. Michel Masson conclut que la connaissance de Dieu se fait par fusion, grâce à une « modification de la conscience, l’anéantissement de tout ce qui est moi… »

Pareille modification ne s’impose-t-elle pas lors de la crucification de Jésus ?

Dans Jean (Actes chap. 97) Jésus dit : « Pour la multitude en bas je suis en train d’être crucifié, je suis abreuvé de vinaigre et de fiel. Mais à toi je vais te parler. Il me montra une croix de lumière… dans la croix il y avait une forme unique et une figure qui possédait la Ressemblance. Le Seigneur Lui-même… n’avait pas d’aspect extérieur, mais seulement… une voix douce familière, bienfaisante… qui dit : « Ce n’est pas la croix de bois que tu vas voir. Je ne suis pas non plus celui qui est sur la croix… J’ai été considéré pour ce que je ne suis pas n’étant pas ce que je suis pour la multitude » .

Dans cette dimension de l’étrangeté et ce caractère ambigu du réel, l’expérience christique sur la montagne (« Jean, c’est moi qui t’ai donné l’idée de monter sur cette montagne… » est également un moment d’irruption dans une dimension inconnue de l’espace temps-dimension où il semble à la multitude que…

On ne peut, bien sûr, et Henri Corbin le fit avant nous, que rapprocher ce passage des actes de Jean de la Révélation coranique dans la sourate IV verset 157 et 158.

« Selon leurs dires, « Nous avons tué Jésus fils de Marie Messager de Dieu ! » ils ne l’ont point tué ni crucifié ; ce n’était qu’un faux semblant… Tout au contraire Dieu l’a élevé jusqu’à Lui, Dieu est Puissant et Sage » .

La traduction de l’arabe « Shubbiha-Lahum » : il leur a semblé, nous fait pénétrer une partie du mystère de la crucifixion. Quant à ce qui s’est passé sur la croix, est bien entendu hors de notre connaissance, et du ressort de Dieu.

Les manifestations du divin entraînent ainsi pour l’humanité des phénomènes perceptifs déboussolant littéralement le sens commun. Les élus qui les vivent et les expérimentent sont plongés dans un inconnu à la foi spirituel et sensoriel. Ceci est particulièrement vrai du voyage nocturne et de l’ascension du Prophète de l’Islam, objet de la Révélation coranique de l’Isra Wal Mi’râj (Sourate XVI) qui annonce « Que soit glorifié celui qui, de nuit fit voyager son serviteur de la Mosquée sacrée (La Mecque) à la Mosquée éloignée (al Aqsa, Jérusalem), dont nous avons béni l’alentour, afin de lui montrer certains de nos signes !… »

A ce propos Virgil Gheorgiu écrit : « En ces heures de solitude (de Muhammad SAWS), de crainte et de terrible angoisse, Dieu fait à son serviteur undon exceptionnel : Dieu invite Muhammad au ciel » . Ce voyage grandiose et glorieux où le Prophète de l’Islam visite les prophètes et notamment Adam, Jésus, Jean fils de Zakaria, Elie, Aaron, Moïse, est une ascension non plus d’une montagne mais une nouvelle fois dans une dimension où ne comptent ni l’espace ni le temps.

Selon le témoignage d’Umm Hâni, retenu par les Traditionnistes ce voyage fût rapide comme l’éclair : au retour du Prophète (SAWS), son lit était encore chaud et un pot d’eau qu’il avait renversé précipitamment à son départ n’eût pas le temps de choir et se vider. Pour les grands commentateurs comme Tabari, Razi, ce fût un voyage de nature mystique ; dans les dispositions analogues à celles qui envahirent Abraham, Elie, Moïse et les élus de Dieu lorsqu’il s’adressa à eux, plongeant leur conscience dans un trouble que le merveilleux mot arabe « d’Al Haïra » , l’état de perplexité, de doute sur ses propres sens et de distorsion dans la perception habituelle du temps et de l’espace, rend bien.

Il s’agit d’une illumination, d’une transfiguration ; et l’élu de Dieu qui en bénéficie doit être parvenu comme l’affirme Ibn Al Arabi, le très grand Maître du soufisme, à l’état exceptionnel d’Homme Primordial ou d’Homme Premier, c’est à dire le Prophète. L’illumination transformante mystique est l’époché Husserlienne qui est l’état de grâce du philosophe, humble devant la vérité comme un Sage, un Héros et un Saint.

Dans son Guide des Perplexes (et non des Egarés) : Dalâlât-t-ul-Hâ-irîn, Maïmonide (Mûsa Ibn Al Maïmun) qui écrivait en arabe, se penche lui aussi sur ce problème de la prophétie. Il lui consacre dix sept chapitres. Par la formule « Le Seigneur parla à… » on doit selon le célèbre théologien, comprendre non pas une voix audible mais une connaissance « sine materia » de la volonté divine.

Il écrit :

« Il faut savoir que toutes les fois qu’un Prophète de l’écriture dit de quelqu’un qu’un ange lui parla ou que la parole de Dieu lui fut adressée, cela n’a pu avoir lieu que dans un songe ou dans une vision prophétique » .

L’auteur remarque qu’il faut comprendre au sens figuré les mots du premier chapitre de la Genèse : « Dieu dit » , car un ordre ne peut être donné qu’à un être qui existe et capable de le recevoir, ce qui ne fut le cas qu’après la création d’Adam.

Pour sa part, Abu Huzay, auteur Mu’tazilite du IVème siècle admet la possibilité de la vision de Dieu « par le coeur » , en bon rationaliste de l’Islam.

Alors la symbolique du Sinaï et plus généralement de la montagne sacrée, réside dans le fait que seul le Prophète, Moïse, était appelé à gravir ce chemin vers la connaissance directe de Dieu alors que le peuple, la multitude, restait en bas attendant le messager, et que nul n’était admis à voir la face divine. Le Prophète est sur la hauteur, peuples et nations attendent en bas.

Naturellement la mystique s’inspirera abondamment de ce cheminement difficultueux vers les sommets de proximité divine et l’ascèse (zûhd) réplique, si l’on peut dire, dans un cheminement initiatique spirituel, la même ascension que les Prophètes, dans leurs montagnes, nourrissant dans l’espérance de la faveur divine, du ravissement final (fana’) et de cette rencontre unitive (ittihâd).

En définitive la symbolique du Sinaï réside dans cette attente du monde de la voie du salut que le messager va lui transmettre. Quel est ce message ?

UN PACTE PREEXISTENTIEL

Le Coran enseigne :

S.II – V.63 : « Rappelez-vous quand nous avons pris votre engagement (mithâq) et élevé au dessus de vous le Mont Sinaï.

S.IV – V.154 : « Nous élevâmes au dessus d’eux le Mont Sinaï afin d’obtenir leur engagement (mithâq).

S.57 V.8 : « Dieu a pris acte de votre engagement (mîthaq)… »

S.II – V.27 : « Il n’égare que les pervers qui rompent le pacte (mîthaq) qu’ils avaient fermement pris avec Allah » .

et enfin S.VII – V.172 : « Rappelle que ton Seigneur retira des reins des fils d’Adam leur postérité qu’il les prit chacun à témoin envers lui-même, leur demandant : Ne suis-je pas votre Seigneur ? Oui répondirent-ils nous en témoignons.

« Nous requîmes ce témoignage pour que vous ne puissiez pas dire au jour de la résurrection

: « Nous n’y avons pas prêté attention » ou dire encore : « Nous n’avons fait que suivre nos ancêtres qui T’ont donné des associés. Nous ne somme que leurs descendants, vas-tu nous faire périr par la faute de ces impies ? » (qui avaient rompu l’engagement…) fin de citation.

Quelle est la nature du Mithâq, de l’engagement rappelé au Mont Sinaï et que Dieu a pris de chaque fils d’Adam comme témoin envers lui-même ? Toute la prophétie est un rappel, et nombre de versets coraniques indiquent que le Messager est rappeleur et que la Révélation resitue l’homme oublieux de son engagement envers Dieu.

Voilà un des problèmes les plus controversées de la théologie musulmane. L’Islâm enseigne, en vertu de ce verset et d’après de nombreux hadiths dont on trouvera la majeure partie dans le commentaire de Tab (IX, 111-118) et I. Kath (II 2611-264) qu’après la chute d’Adam, Dieu fit comparaître, avant leur naissance, la totalité des descendants de celui-ci et prit leur engagement (mîthaq), qu’on traduit à tort par alliance, de ne reconnaître que Lui comme Dieu et de n’adorer que Lui. Cet engagement solennel, pris à Nu’mân près du Mont ‘Arafa, devait jouer pleinement contre eux, s’ils sombraient dans le polythéisme et l’idolâtrie. En la même circonstance, fut fixé le destin de chaque homme, quant à son comportement sur terre et à sa fin : il était ainsi prédestiné au paradis ou à l’enfer. On devine la réaction des rationalistes, fondée sur la notion de justice, de mérite et de responsabilité. On lira avec intérêt les thèses exposées par Râzi. (XV. 46-52) et Zamakhshari. (II. 103).

Selon celui-ci, il ne faudrait y voir qu’une de ces anagogies symboliques propres à la langue arabe et d’un usage très fréquent dans la langue courante aussi bien que dans le Coran. En fait, il s’agit bien d’un « pacte pré-existentiel » auquel le soufisme donnera une grande ampleur. Pacte qui sert de fondement à la responsabilité de l’homme envers Dieu et justifie la sanction de ses actes.

L’HOSPITALITE D’ABRAHAM, sa promesse aujourd’hui

Terminons par la très belle théophanie du festin à la chênaie de Mambré (ou Mamré près de Beersheba), une montagne à l’Ouest du Jourdain où Abraham, dit la Génèse, avait planté sa tente sous un chêne qui abondait dans ce site.

Le Coran intitule la Sourate XIV : « Ibrahim » (Abraham) ancêtre spirituel des Arabes et des Juifs par Ismaïl et Isaac fils respectifs de Hagar et de Sarah.

Mais c’est dans la Sourate XI V.69 que l’hospitalité offerte par le Patriarche à trois mystérieux invités est ainsi évoquée :

« Certes nos messagers sont venus à Abraham avec la bonne nouvelle et lui dirent « Salâm ! »

« Salâm ! » répondit-il et il ne tarda pas à apporter un veau rôti… »

La suite des versets nous dit qu’Abraham remarquant que ses hôtes n’y touchaient pas, s’inquiéta fortement. Alors les envoyés angéliques le rassurèrent, disant que la punition dont ils étaient chargés concernait le peuple de Loth à Sodome et à Gomorrhe mais qu’ils annonçaient à son épouse Sarah la naissance d’un fils. Celle-ci se prit à rire d’étonnement « vais-je enfanter alors que je suis vieille et que mon mari est un vieillard ? Quelle chose extraordinaire ? »

« Ils dirent : t’étonnes-tu de l’ordre de Dieu ? que la miséricorde de Dieu et ses bénédictions soient sur vous ô gens de la tente… » .

Indépendamment de la haute valeur morale et sociale du festin de Mambré (Abraham et son épouse seront récompensés pour leur bonté, les gens de Loth seront punis pour leurs perversions).

La symbolique de la hiérophanie du chêne, arbre vigoureux et bien planté est une métaphore de l’arbre du monde.

Son symbolisme dans l’inconscient sacral de l’homme est la Foi qui s’enracine, réalisant la plénitude et vit l’universel, comme dit Eliade.

De ce point de vue la soumission d’Abraham, sa prière à Dieu prend la dimension de l’unité dans la totalité et de l’universel dans l’individualité de l’Homo religions s’il en fût, dans la personne d’Abraham : le père et dans ses trois visiteurs ; les trois religions issues de sa foi au Dieu Unique : Judaïsme, Christianisme et Islam.

Enfin à travers ces théophanies et ces hiérophanies, c’est l’éveil et le réveil de l’Humanité à l’appel du divin, c’est l’aurore de cette humanité une et multiple qui se prépare à la gloire du « vrai soleil » de Dieu, « Lumière sur Lumière » qui luira pour tous au jour de la Résurrection, conformément à toutes nos Ecritures.

Déserts, montagnes, solitudes, la voie de Sainteté doit éviter un double écueil, un double péril selon la belle formule de Jacques Maritain : « le Péril de ne chercher la Sainteté qu’au Désert et le péril d’oublier la nécessité du Désert pour la Sainteté » . (Contemplation et action).

L’autre conclusion qui se dégage de ces réflexions concerne le monde musulman aujourd’hui. Il n’est plus possible dans une franche étude théologique comme celle-ci d’éluder purement et simplement la doctrine Chiite d’un regard réducteur et simplificateur.

Tous les savants de l’Islam considèrent que l’avenir dépend de la réouverture du dialogue Sunnisme/Chiisme à la lumière des travaux chiites eux-mêmes et de l’approche nouvelle et réciproque de ces deux grands courants de l’Islam.

Dr. Dalil BOUBAKEUR : Recteur de l’Institut Musulman de la Mosquée de Paris

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