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L’islam à l’aube du 21ème siècle

ISLAM ET INTÉGRISME

La démographie musulmane en France (4 M de personnes, 2ème religion du pays) est appelée par sa croissance à devenir une composante importante de la population française à venir et bon nombre de futurs citoyens seront issus de parents musulmans.

Contrairement à la politique communautariste de certains pays d’Europe (Grande Bretagne, Pays Bas…) la société française intègre les individus et ne reconnaît pas les communautés. La Loi de 1905 établissant la séparation entre l’Etat et les cultes fait que la religion musulmane s’est développée en France selon les aléas de l’histoire, de l’économie voire de la politique. Trois phases peuvent être distinguées dans l’évolution de cette communauté.

1°) – On pourrait dire qu’un grand pan de l’histoire de France est faite d’une histoire musulmane. En effet depuis son entrée en Algérie en 1830 la politique constante de la France a été d’intégrer les musulmans sous son emprise culturelle et les amener à une conception laïque, républicaine de la citoyenneté par la scolarisation ou l’engagement national.

C’est dans cette phase historique que de nombreux musulmans d’Afrique et d’ailleurs se sont vite trouvés enrôlés dans l’armée française et ont constitué de gros bataillons durant la Première et la Seconde Guerre Mondiale, s’illustrant à Verdun, en Alsace ou à Cassino. En raison de cette fraternité d’armes et de la notion barrésienne du « Sang versé » une sorte de « Jus Sanguinis » s’est imposé justifiant la reconnaissance et la considération de la France qui, transcendant la Loi de séparation, s’est vu construire l’Institut Musulman de la Mosquée de Paris dont les travaux furent mémorablement inaugurés par le Maréchal Lyautey en   1922.

Avec le cimetière militaire de Douamont, ceux de Mulhouse, Metz, de nombreuses villes de l’Est ou du Midi pour les débarquements de Provence, on peut dire que l’histoire de l’Islam en France s’est fondée sur cet engagement et que cultiver la mémoire dans les circonstances actuelles est d’une importance axiale et structurante de l’identité musulmane dans notre pays, particulièrement auprès des jeunes tentés par le nihilisme, l’intégrisme et la ghéttoïsation.

2°) – La deuxième phase est celle qui a suivi la décolonisation des pays du Maghreb et particulièrement de l’Algérie. Ceci a amené vers la France nombre de communautés rurales rapatriées (Harkis, fonctionnaires etc…) dont les traditions familiales et tribales bien ancrées ont posé de difficiles et douloureux problèmes d’insertion d’insertionpsychologique, sociale, et même économique pour leurs jeunes. Cette période fût d’autre part, le départ d’un vaste mouvement d’immigration au motif d’une croissance économique exceptionnelle durant les années 60 et 70. Cette immigration mal préparée, mal gérée soumise seulement aux règles parfois douteuses des Lois du marché a pratiquement mis entre les mains d’un patronnat du XXI ème siècle un véritable sous-prolétariat du XIX ème siècle avec ses faiblesses, sa sous- protection sociale, mais aussi son courage, son adaptation aux travaux pénibles et son silence révendicatif concernant ses aspirations culturelles ou religieuses.

3°) – La dernière phase est ponctuée par deux décisions législatives qui allaient bouleverser en une quinzaine d’années la physionomie de la communauté musulmane en   France.

Tout d’abord la décision de permettre le regroupement familial dans les années 75 devait provoquer   un   baby-boom   dans   les   banlieues   où le   béton   des   habitations     hâtivement construites allaient avoir de redoutable conséquences : la désinsertion, le mal de vivre, et la situation actuelle de pré-violence des jeunes de la Seconde ou Troisième génération.

Par ailleurs, la Loi de Décembre 1981 allait ouvrir à tout résident étranger le droit associatif reconnu par la Loi de 1901. Ce droit fut rapidement utilisé pour permettre à la communauté de se doter de lieux d’enseignement et de culte conformes aux aspirations et aux capacités financières des fidèles. Un Islam polycentrique, éclaté en une mosaïque de salle de prières, de mosquées, de centres culturels ou de lieux de culte à la limite de la clandestinité allaient créer en surface, ou en sous-sol, une situation provisoire ou définitive par la construction de petites ou de grandes mosquées constituées comme à Lyon, Lille, Montpellier, Région Parisienne, et rapidement toutes les villes de France.

Beaucoup de grands centres sont sous l’obédience modératrice de la Mosquée de Paris qui y nomme des Imams qu’elle contrôle et dont elle assure la rétribution.

Parmi les critères que nous imposons à nos lieux de culte, à la communauté et aux Imams que nous contrôlons, nous exigeons : la compétence, l’apolitisme et, autant que possible la connaissance de la langue française pour combler le hiatus énorme existant entre les jeunes

« Beurs » uniquement francophones et la génération de leurs parents arabophones et traditionnalistes des mosquées de la 1ère génération.

Aujourd’hui, c’est dans cette situation socialement préoccupante de la jeunesse musulmane, prête à toutes les dérives et aux tentations du radicalisme activiste au repli, et à l’enkystement psychologique, que la religion de leurs pères ne convient plus. L’habit arabe traditionnel n’est plus de mise et le dialogue arabo-français s’établit mal, quand il s’établit entre les jeunes et les anciens.

L’impréparation à recevoir cette génération s’est particulièrement fait sentir par la précarité du cadre de vie : manques d’espaces verts, de centres de loisirs ou sportifs, urbanisme sommaire créant dans les cités toutes les conditions de l’exclusion sociale par la délinquance, les dérives de la violence, et de la toxicomanie qui s’y instaurent.

Un nouvel Islam est en train de joindre, si nous n’y prenons garde, un nouveau discours risque de s’instaurer en raison des défis et mutations qu’affronte l’Islam lui-même aujourd’hui.

En effet : Laïcité, Modernité, Fondamentalisme sont parmi les confrontations que les musulmans et particulièrement les jeunes, doivent assumer afin de déterminer leur choix entre Intégrisme et Intégration. La guerre du « voile dans les lycées » marque-t-elle déjà l’apparition d’un Islam qui, loin d’être un facteur d’intégration marquerait l’émergence d’une nouvelle marginalité et d’un divorce avec les valeurs ou les Lois Françaises ?

Un Islam de France est-il encore possible ?

Les réponses ne sont pas simples et les multiples facteurs qui guideront ces choix sont aussi évolutifs que la jeunesse elle-même ; les données historiques et les ressources propres de la mouvance radicale en France sont également à considérer dans leur contexte et dans les conditions de leur apparition actuelle.

Il faut évoquer l’action destabilisante de certaines sources de financements orientés, induisant des activités qui trouvent dans le terrain « fragile » des communautés musulmanes d’Europe un banc-test pour des menées qui ont pour origine des pays musulmans Sunnites ou Chiites (où parfois-même elles ont échoué). La situation particulière que traverse l’Algérie ne doit jamais être sous-estimée sur ses répercussions communautaires en France. Les financements

provenant de pays pratiquant la rigoriste IV ème Ecole du Hanbalisme et du Wahabisme favorisent l’émergence de courants de même pensée et de même tendance, mais dérapant parfois vers des dérives intégristes par des manipulateurs intéressés.

Aux conflits de générations vont donc se superposer les effets de la réislamisation qui, par l’action sociale de proximité le soutien, l’enseignement ou la récupération des jeunes ont toutes chances, dans des zones défavorisées, de trouver un « terreau » favorable pour un discours dévié vers le radicalisme ou l’extrémisme.

Cette situation est loin de nous échapper. L’intégrisme religieux qui en serait alors la conséquence est pour nous insensée, car un tel projet en France serait absurde et délirant s’il avait pour objet de faire que l’Islam puisse ou veuille changer les structures de l’Etat.

En effet cette religion qui s’inscrit dans le cadre de la Loi Républicaine est contraire à l’activisme qui menacerait l’ordre public serait contraire à ce principe. L’Islam qui est valable en tout lieu et en tout temps a su trouver sa place pacifique dans toutes les sociétés du monde.

L’intégrisme n’est cependant pas caractéristique de l’Islam seulement. C’est en effet vers la fin du XIXème sicèle que ce mot et ce concept ont été utilisés par des mouvements réactionnaires catholiques espagnols prônant l’établissement d’un pouvoir politique religieux en catalogue – Sans succès cependant. Les tentations de l’idéologisation religieuse ont concerné d’autres religions. Mais dans le cadre de l’Islam c’est le Chiisme qui a projeté un état communautaire islamique avec à sa tête un Imam, descendant de Ali de la lignée du Prophète (SAWS) (7ème pour les Ismaëliens, 12ème pour les   Duodécimains.

Cette conception a très tôt et violemment séparé le Sunnisme du Chiisme. Mais, à l’intérieur même du Sunnisme des mouvements intégristes seront également manifestés durant les siècles de son histoire.

Dans cette optique, l’affaire des Qarmates est exemplaire : il s’est agit de la fondation du 1er Etat islamique à Bahrayn, de l’an 900 à l’an 1078. Ce petit Etat islamique établit en effet un Imamat de type ismaélien violemment hostile à ses voisins, menaçant même Baghdad en 927 et occupant la Mecque en 930, brutalisant les pèlerins, et déplaçant même la Pierre Noire de la Mecque vers Bahrein, et qui n’aurait été restituée en son lieu qu’en 952, l’Etat Qarmate vécut dans le communautarisme fermé d’une secte ésotérique très organisée, pratiquant le prêt sans intérêt, une monnaie toute symbolique de plomb, l’entraide gratuite et aussi un esclavage     très   important   (30   000).   Ce communautarisme   a   été   qualifié   de véritable «   communisme initiatique »   selon l’expression de L. MASSIGNON.

Dr. Dalil BOUBAKEUR : Recteur de l’Institut Musulman de la Mosquée de Paris

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